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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 septembre 2012

Du PLAN d' IMMANENCE

 

 

 

 

 

« L’apparence l’emporte sur tout » écrit Timon, qui passe pour un fidèle défenseur de la sagesse pyrrhonienne. Cela signifie qu’il n’existe que des apparences, ou mieux des apparaître-disparaître, lesquels ne renvoient  à nulle essence fixe et permanente, à nul Etre. Il s’agi t de ruiner à tout jamais l’opposition classique de l’apparence et de l’essence, de l’être et de l’apparaître : le terme même d’apparence devient caduc, puisque « rien » n’apparaît plus, si tout apparaît au même titre et de même valeur. Marcel Conche établit dans son livre « Pyrrhon et l’apparence » qu’il faut entendre ceci : ni « apparence de »(l’être) ni « apparence pour » (un sujet), mais apparence absolue, détachée de toute référence à l’être et au sujet. C’est dire que toutes les catégories de la métaphysique volent en éclats : l’être, le sujet, l’objet, leur rapport, et conséquemment la connaissance, l’erreur et la vérité. Quelle sublime dévastation, non seulement de toute théorie positive ou négative, mais de toute possibilité de théorie ! Que l’objet disparaisse comme support d’un savoir, et voilà que le sujet subit nécessairement le même sort, s’il n’est d’objet que pour un sujet, et de sujet que face à un objet. C’est le rapport, jugé nécessaire entre les deux, qui se voit à jamais disqualifié. Pyrrhon ne parle jamais d’objets, encore moins d’ « étants » (onta, ou eonta), mais de « pragmata », terme volontairement évasif, renvoyant aux choses humaines (les affaires, les actions) aussi bien qu’aux choses de la nature (comme en latin on dira : res, natura rerum). Il n’ y a que des choses, et dès lors l’homme est chose aussi bien, ne jouissant d’aucun attribut spécial dans l’in-différence universelle (a –diaphora). Dans cette égalisation sans reste (métaphysique), dans cette réduction généralisée, rien ne fait plus relief, rien ne se peut connaître, apprécier particulièrement, si toute chose est isonome à une autre, mais aussi bien, toute chose, et n’importe laquelle, peut se voir choisie, selon les circonstances, selon  la disposition, dans la fulgurance du Kaïros (Anaxarque).

Le terme d’apparence, dans une telle perspective, se révèle inadéquat. C’est un mot français, et en français il fait couple avec être. Si je dis « to phainomenon » : ce qui se donne à la lumière (Phaos), les embarras disparaissent. Tout ce qui existe se donne à la lumière, fût-ce l’obscur, l’invisible, si la lumière, soudain, le fait « apparaître », le révèle, le présente comme présent, dans la fulgurance de l’instant : kaïros. La lumière se révèle elle-même en révélant les choses, et le regardant et le regardé, regard « réfléchi », commune présence, unique présence.

Il est bon, comme le fait remarquer François Julien, de préférer immanence à apparence (« Un sage est sans idée »). Je ne suis pas sûr que sa critique de Pyrrhon soit intégralement pertinente. Il me semble qu’il néglige le versant résolument « oriental » de Pyrrhon, sa sortie hors de l’hellénisme et des catégories aristotéliciennes (principe d’identité, tiers exclu, causalité, puissance et acte, sujet-objet etc).  La perspective pyrrhonienne devient absolument claire si, en effet, on préfère le terme d’immanence, et qu’on considère le phainein( l’apparaître), le phainomenon( l’apparaissant) comme des jeux de lumière et d’ombre sur la surface universelle, le plan d’immanence indifférencié, où toutes choses sont « également in-différentes, im-mesurables, in-décidables ».

Parvenus jusqu’ici, nous voilà en mesure de penser le plan d’immanence, ce qui est en soi peu de chose, s’il s’agit avant tout de le sentir, le percevoir et le vivre. Mais il n’est pas vain de procéder à une clarification préalable – en quoi nous sommes encore philosophes – sous réserve de changer radicalement de « style » : Pyrrhon remarquait qu’ «il n’est pas facile de dépouiller l’homme ». Ancrés par nécessité dans une culture qui  évalue, catalogue, préfère et rejette, comment revenir à une sensation native et naturelle de présence indifférenciée, omni-englobante, à une physis sans cause ni finalité,  qui nous porte, nourrit et détruit dans l’in-différence universelle ?

Quelques expressions de la langue commune témoignent au demeurant de cette possibilité oubliée : il y a, ça va, ça passe, c’est ça et c’est  pas ça, il pleut – en allemand on dit : ça pleut, ça dure, ça est plus fort que moi. Cette idée - mais est-ce bien une idée – d’un ça antérieur à toute détermination, évasif, allusif, référant sans référer explicitement à quoi que ce soit, et à n’importe quoi, qui n’est pourtant pas tout à fait n’importe quoi, sans être pour autant ceci ou cela, à la fois ceci et pas ceci, pas plus ceci que cela (« ou mallon ») – à y regarder de plus près il y a dans le langage quelques ressources pour approcher d’une attitude refoulée, qui pourrait s’exhiber dans une a-philosophie, inviter à voir-ça plutôt que de savoir, expérimenter naïvement une manière différente – in-différente de sentir, de percevoir, d’imaginer, - et de vivre.

 

 

Je dois beaucoup, dans cette analyse, à Marcel Conche et à François Julien, qui m’ont indirectement aidé à clarifier mes  propres  perspectives.  Mon propos, cependant, est de déboucher sur une pratique : j’espère plus du côté de l’expérience corporelle, « somatopsychique ». J’ y reviendrai nécessairement.

 

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Commentaires
G
Je suis bien d'accord avec vous et ne saurais mieux dire!
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C
Je remanie et corrige une dernière fois mon propos qui porte entre autre sur le « ça » puis j’ouvre mon ordi et avant de le mettre en ligne , je jette un coup d’œil sur votre blog et vois avec surprise « de la nature et du ça . » Je ne lis pas la chronique pour ne pas être influencé et poste donc aussitôt mon propos tel qu’il se présente à l’instant même ..<br /> <br /> <br /> <br /> En décantant la réflexion , il me semble comme vous le dîtes souvent qu’il n’existe que des phénomènes ,des apparences ,des processus, des procédures qui apparaissent et disparaissent.<br /> <br /> Au niveau de la physis universelle les phénomènes sont parfaitement identifiables et nous pouvons aisément les déceler : nous avons conscience ( dans le sens d’être présent au monde) que nous n’avons que peut de prise sur eux .<br /> <br /> Quand apparait le jour ( ça se lève ) la nuit disparait et quand la nuit apparait le jour disparait .<br /> <br /> Quand la pluie apparait ( tiens ça pleut ) le beau temps disparait et quand le soleil apparait de nouveau la pluie disparait (tiens ça se lève )<br /> <br /> Quand la tempête apparaît ,le beau temps disparait et quand le beau temps apparait de nouveau la tempête disparait .<br /> <br /> Qui peut dire ou se situe la « frontière » entre le jour et la nuit , la pluie et le beau temps tant il est vrai que tout est mêlé . L’apparaître englobe le disparaître et le disparaître l’apparaitre ., permanence de l’impermanence . ça apparait , puis ça disparait .Quel est donc ce « ça » ? Nous ne pouvons pas nier que le jour , la nuit ,la pluie n’exixtent pas . Il y a . Comment pourrait-on définir le « ça » ? Simplement par le phénomène ou le processus , alors les choses sont plus claires ? Mais que diable vouloir toujours tout expliquer , et tout comprendre ,Descartes est passé par là … Et si nous considérions que tout ce qui nous dépasse nous grandit ,ne serait-ce pas un début de sagesse ?<br /> <br /> Accepter l’inexplicable ,simplement, il y a ,.maigre consolation …mais je suis un peu frustré tout de même car le « ça » n’est pas rien « ça » reste quant même une sacrée énigme . <br /> <br /> <br /> <br /> Les choses sont plus complexes si nous nous adressons à la psyché ,folle ambition de « prokopion » mais risquons nous y un peu ..<br /> <br /> Lorsqu’apparait la crainte ,l’espoir disparait , et quand l’espoir apparait la crainte disparait (ça craint )<br /> <br /> Lorsqu’apparait le doute , la croyance disparait et quand la croyance apparait le doute disparait .Quand la parole apparait le silence disparait et quant le silence apparait la parole disparait (ça tchache ,ça parle ) Quel est donc ce « ça « ?<br /> <br /> Quand l’angoisse apparait le calme disparait et quand le calme apparait l’angoisse disparait .<br /> <br /> Nous pourrions continuer et la liste serait longue , ce qui compte à mon avis c’est de bien se rendre compte de la processivité du processus .<br /> <br /> J’espère , je crois , je doute , je parle et pour en rajouter comme les enfants disent souvent moi,je ….Quel est donc ce je ? Cela me fait penser à Nietzsche qui réfutant le cogito disait magnifiquement .Ce n’est pas le je , le sujet qui pense mais « ça » pense . Je ( nous) ne sommes pas plus avancés pour autant . Si nous pouvions envisager dans le phénomène de la pensée par exemple le processus qui est à l’origine du phénomène de pensée alors la vision des choses peut s’éclairer ,.et le je et le moi ,je ne dis pas disparaitre, mais réduits à « la portion congrue » Ce ne serait déjà pas si mal ….ne mettons pas la barre trop haut au risque de se blesser en tombant . Quel serait donc le rôle de la volonté , si nous pensons que tout est processus qui apparaissent et disparaissent au gré du tao et non pas au gré du je, réduit à portion congrue.IL s’agirait peut-être de comprendre l’apparition de ces processus généraux, comment apparaissent-ils, de les accompagner de les chevaucher de la source (en amont) jusqu’à leur disparition( en aval) En effet ce qui est déterminé est en aval et se trouve de fait déjà figé : il n’y a plus d’effet , alors que l’essor est en amont , ce qui nous amène à penser l’originaire du processus La aussi nous nous rendons compte que nous n’avons que peut de prise sur la psyché . ça pense ,ça rit ça pleure ,ça joue .ça angoisse ect..Le plus étonnant dans l’affaire c’est que la source ne tarit jamais en amont et se régénère sans cesse ..Quelle en est donc l’origine et d’où viennent –ils ,comment nait la source à l’origine ? Si nous prenons conscience de ce déploiement (‘apparaître-disparaître) et de ce retour (renouvellement),notre conduite humaine peut d’une certaine façon se mettre en phase avec cette procesivité . Le ça est vide ,ce n’est pas le chemin qui mène à …..mais la voie elle-même , la voie indéterminée ,ouverte sur tous les possibles , qui se présentent à nous . Le Tao ne cesse de faire naître les choses ,elles apparaissent et disparaissent ,elles ne font que passer mais le Tao lui demeure et ne disparait jamais . Je vois donc dans le ça la voie du Tao. C’est un peu court bien sûr ,mais faute de grives …..contentons nous de merles …<br /> <br /> Laissons nous porter par le processus , épousons le au mieux en sachant que même si la situation est inconfortable , elle finira par se retourner (permanence de l’impermanence ) La voie est vide et le vide est voie .<br /> <br /> Ce n’est pas du fatalisme mais en quelque sorte tenter de saisir une forme de sagesse .Le vide est présent dans les choses et les choses sont dans le vide .,choses indécidables , imprévisibles ,impensables ,ouvertes sur l’infini , inquiétantes ,insaisissables mais bien présentes et en même temps absentes que l’on ne peut saisir comme si nous voulions attraper ou cueillir le vent . Le poumon ,le poumon disait le malade imaginaire ….le tao ,le tao dirait le ça . .<br /> <br /> <br /> <br /> Vous parlez souvent d’a-philosophie dans vos chroniques où le « a » à mon sens n’est pas négatif et ne détruit pas mais privatif en somme .. Si je comprends bien le message ,il s’agirait de voir ,d’entreprendre ,d’expérimenter les choses différemment par rapport à la philosophie occidentale traditionnelle qui souvent se penche à mon sens trop sur le pourquoi alors que finalement il n’y a pas de réponses et rien à trouver .Dans la démarche de l’a-philosophie il s’agirait aussi d’un étonnement mais s’intéresser au comment et non pas au pourquoi , et cela change beaucoup le regard . Comment puis-je faire pour ……démarche plus subtile et plus exigeante ,un questionnement a-phasique comme vous le dîtes plus contraignant certes, ce qui en fait toute sa richesse ., mais cette a-phasie ,cette parole sans parole n’est ni silence ni mutisme . Le vide est voie, la voie est vide .Comme la voie est vide, elle contient donc en puissance une infinité de potentialité,de fulgurances, de déploiement et de créativité , de liberté du vivre alors que la philosophie « traditionnelle » occidentale est en quelque sorte figée ,si j’ai bien « traduit » votre pensée . En ouvrant un dictionnaire pour traduire un texte parfois de jolis contre –sens peuvent « apparaîtrent » à la source …souvenirs lointains de versions latines ..…<br /> <br /> Et si d’une certaine manière l’a-philosophie consistait à « gouster » le Tao ,l’invisible, l’insaisisable, l’inaudible, le sans forme et à chevaucher le vent <br /> <br /> <br /> <br /> NB :Parfois les expressions populaires que l’on emploie machinalement sont porteuses de message plus profonds que l’on ne pense . « ça devait arriver » « ça m’est tombé dessus sans que je m’y attende ». ect.. Je vois dans le ça de ces énoncés l’expression du réel que nous pouvons définir comme le régime métaphysique gouverné par le hasard . Il existe donc un rapport étroit entre le ça ,le réel et le hasard ce qui me parait intéressant de souligner .
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G
cher monsieur, je n'ai jamais caché mes sympathies et mes antipathies, mais je préfère, par déontologie personnelle, m'abstenir de toute inféodation. Vous connaissez la devise : "soyez à vous mêmes votre propre lampe!"
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J
Je constate avec beaucoup de plaisir que vous vous approchez à pas mesurés vers le zen . Lapratique que vous escomptez n'est-elle pas le zazen ?<br /> <br /> <br /> <br /> jean moine zen soto
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