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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 juin 2012

SUBLIMATION et SPIRITUALISATION

 

 

 

 

Faut-il identifier la sublimation, notion freudienne, et la spiritualisation, telle que Nietzsche la présente quelquefois en ses textes ? Dans les deux cas il s’agit d’une modification de la pulsion dans le sens d’un développement culturel, d’une maturation sociale, morale, scientifique ou esthétique. Mais il n’est pas sûr que le processus soit rigoureusement superposable.

Pour Freud la sublimation consiste à détourner la pulsion de ses objets premiers, de nature narcissique ou objectale, vers d’autres objets, plus conformes à l’idéal social ou culturel. Par exemple, tel sujet animé par une forme pulsion de voir (voyeurisme spontané) pourra renoncer, si les circonstances sont favorables, à sa curiosité sexuelle infantile pour se tourner vers l’objet d’investigation scientifique. La pulsion de voir se mue en désir de savoir. Dans cette opération il y un renoncement – à l’objet premier ; un déplacement –vers le nouvel objet, plus « sublime » du point de vue social, mais dans le même temps une conservation du but : la pulsion vise toujours et partout la satisfaction, quel que soit l’objet par quoi elle est obtenue. L’opération de déplacement porte sur l’objet et non sur le but. C’est pourquoi la sublimation apporte, quand elle est réussie, de hautes satisfactions, objectales d’abord, et narcissiques plus encore par la reconnaissance accrue que confère l’activité culturelle. Un artiste qui réussit est le plus heureux des hommes : il est payé et reconnu pour une action dont le but premier est de satisfaire ses propres désirs.

Toute la question est de savoir s’il est facile de renoncer aux objets premiers de la pulsion. Freud se demandera si dans la sublimation il n’y a pas forcément une part de refoulement. Le refoulé pourra toujours faire retour, et gâter les plus belles entreprises. De plus la sublimation suppose un accord entre le créateur et la culture de son temps, qui n’existe pas toujours, ce qui condamne bien des artistes et chercheurs à l’ostracisme. J’ajouterai que la notion même de sublimation fait problème.

La sublimation est le passage, sous l’action de la chaleur, du solide au gazeux, du plus grossier au plus éthéré, d’où les notations esthétiques et morales. Sublimer c’est élever, orienter un processus vers le haut, de la terre vers le ciel. Ce qui implique une certaine dématérialisation, avec dégagement de l’énergie. On dira que le sublime est l’au-delà du beau, dans une sorte de quintessence idéale.

Pas de sublimation sans Idéal du Moi. Sublimer la pulsion c’est se sublimer soi-même.

 

                                                             II

 

Et nous revoilà dans Platon ! Qu’est ce donc que la sublimation sinon un processus d’idéalisation ? On pense inévitablement à l’analyse fameuse du Banquet. Premier degré, l’amour d’un beau corps puis de tous les beaux corps. Second degré, l’amour dune belle âme, puis de toutes les belles âmes. Puis l’amour des lois, des sciences, enfin de la seule science véritable, le Beau en soi, le Vrai, le Bien. Une élévation progressive du sensible vers l’intelligible, une désincarnation, jusqu’à la contemplation d’un fantôme exsangue, d’une pure Idée sans contenu, sans forme et sans attrait ! C’est avec raison que Nietzsche diagnostique dans cette démarche une fascination de la mort, un nihilisme réactif. Haine de la vie sensible, diverse et diaprée, du devenir aléatoire, du corps pulsionnel. La sublimation prononce le triomphe des forces réactives, détournant la puissance au service de l’idéal du prêtre. Ce n’est pas un hasard si le platonisme sera récupéré par les pères de l’Eglise. Ce qui est plus étonnant c’est que Freud n’ait pas su échapper à l’Hydre. Ces premiers travaux annonçaient un nouvel épicurisme de la pulsion, qu’il trahit par la suite, peut-être sous l’influence  d’un nouveau conformisme.

La question devient : concevoir et pratiquer la spiritualisation sans retomber dans l’ornière platonicienne (idéalisation, sublimation, nihilisme, adaptation, conformisation sociale). Le modèle que nous avons évoqué nous servira de repoussoir théorique pour engager une direction nouvelle.

 

                                                                  III

 

Retour à la Surface Absolue, plan d’immanence intégrale. Ce plan il ne faut pas le quitter, mais rester fidèle à la terre. Il n’y a que des corps, corps du monde, corps végétal, animal et humain. Pourtant la spiritualisation des instincts est une nécessité, et pas seulement sociale. L’excellence humaine ne se peut réaliser que par elle. Que serait une spiritualisation qui évite de se perdre dans les nuées de l’idéalisation ?

L’affirmation brute des instincts et pulsions ne serait que bestiale. Dans son livre inaugural sur la Naissance de la Tragédie Nietzsche note que le culte de Dionysos, en pénétrant en Grèce, perd progressivement de sa sauvagerie orientale, qu’il se spiritualise. Les comportements déchaînés se modèrent, la brutalité se civilise, les orgies se métamorphosent lentement, donnant naissance par degrés au spectacle tragique. Le fond sanglant est toujours là mais il est transposé en musique, en action dramatique. La tragédie re-présente la puissance du dieu, sa liturgie, sa mort et sa renaissance. Le miracle esthétique de la Grèce c’est d’extraire de l’horreur sacrée, intégralement conservée dans sa vérité, la poésie la plus expressive et la plus inventive. Le beau est dans le texte et dans la musique : il exprime l’horreur, la métaphorise, mais ne la supprime pas. On dépeint, on présente, on raconte, on ne cache rien. L’impression que nous retirons de ces pièces n’a aucun caractère commun avec l’idéalisation platonicienne.

La sublimation suppose la souveraineté d’un intellect capable de s’opposer à la violence des passions. Mais chacun sait bien que l’intellect, à lui seul, ne peut rien. Seule une passion peut combattre une passion. La tragédie présente l’affrontement de passions contraires, c’est en quoi elle est leçon de vérité. Chez les Grecs on assiste à un développement formidable de la passion esthétique, si bien que les passions primitives perdent de leur férocité dans la métaphore poétique. Métaphore : transposition, sans suppression, sans déperdition, passage créateur du plan de l’affirmation brute à la présentation narrative.

Toute la question est de savoir quelle passion a légitimement le premier rang : problème de hiérarchie. Pour le prêtre c’est la passion de domestication : brimer les passions, les réduire, les maudire à défaut de les extirper. La morale négative. Pour l’artiste c’est la passion dé créer à partir de la diversité sensible, de magnifier le sensible dans l’œuvre d’art. L’œuvre comme exaltation de ce qui est. Quant au penseur, qui connaît en lui le danger de l’instinct de connaissance, il lui reste à se dégager de ses leurres, pour retrouver le chemin de l’affirmation vitale. Ethique de la joie.

Singulièrement Nietzsche renoue avec l’inspiration épicurienne : contre les passions, inutile de maudire, de castrer, de sublimer ou d’idéaliser, il faut apprendre à jardiner.(« Aurore » 560)

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Rappelons une fois  encore la belle fable de La Fontaine : « le philosophe scythe ». On y trouve un bel apologue  du jardinage épicurien en opposition à la pratique d’élagage universel et criminel du stoïcien- ce prêtre antique.

 

 

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Commentaires
F
Inutile de maudire,oui, mais créer pour magnifier mais aussi pour laisser affleurer ce qui se dérobe et pourtant nous habite. Civiliser les passions en leur offrant les lettres de noblesse....celles de l'assomption métaphorique???
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