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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 juin 2012

GENEALOGIE de la VALEUR : la justice comme exemple

 

 

 

 

 

 

Qu’est ce qu’une valeur ? Qu’est ce qui fait la valeur d’une valeur ? On ne peut progresser dans cette réflexion qu’en examinant son origine, son mode d’apparition et les forces qu’elle mobilise. Selon mon propre modèle de pensée il faut partir du corps, de sa logique propre, de sa finalité interne pour en décrire le développement dans les sphères de la société et de la culture.

La valeur se constitue sur trois plans : instinctuel, émotionnel et spirituel. Or on n’examine en général que le troisième, comme si la valeur tombait du ciel, exprimant quelque vérité éternelle. Mais c’est évidemment l ‘élément émotionnel qui lui donne sa force, la mettant presque toujours hors de portée de la critique : on vit de la valeur, et pour elle on accepte de mourir, comme si la valeur exprimait notre être le plus authentique. C’est oublier son origine, sa généalogie, méconnaître la puissance dont elle est l’expression.

Prenons l’exemple de la justice, considérée ici non comme institution de droit mais comme valeur « morale ».

Posons au départ le Khaos, « la marmite bouillonnante des instincts », pour parler comme Freud. La seule justice que connaît l’homme dans son état spontané c’est l’affirmation inconditionnelle de ses besoins, instincts et pulsions selon le principe de plaisir. Est juste ce qui m’arrange. Mais cette disposition sauvage est vite réfrénée par l’entourage au nom du principe de réalité, voire combattue sans ménagement, et parfois dans la violence. Le sujet fait l’expérience de l’injustice subie, d’autant plus cruelle qu’il n’en comprend pas la cause. C’est un dommage corporel, une blessure infligée au moi souverain, une rupture narcissique. De là de grandes émotions primitives, des passions tristes : souffrance, tristesse, sentiment d’impuissance, qui peuvent se retourner en indignation, colère, rage, jalousie, volonté de vengeance. Après le « passif » voilà le « réactif », dans la violence sans borne de la haine, de la volonté de nuire. La souffrance subie se convertit en intention de provoquer la souffrance en guise de dédommagement narcissique : loi du talion. C’est le royaume  éternel de la vendetta, qui est, osons-le mot, le ressort universel, primitif, de toutes nos institutions judiciaires.

Le paradoxe est qu’on accède  au désir de justice, à son affirmation comme valeur sociale et morale, par l’expérience personnelle de l’injustice subie. Je ne vois point comment l’homme, fondamentalement égoïste, narcissique et paranoïaque pourrait spontanément concevoir la justice comme une valeur si celle-ci vient combattre sa propension à la toute puissance.

Reprenons : la vengeance inspire la guerre infinie entre les individus, les familles et les clans, comme on voit dans la tragédie grecque, mais aussi dans les pénibles conflits ethniques contemporains. Pour accéder à la justice véritable, pour mettre fin à la guerre de tous contre tous,  il faut un principe tiers, la loi, posée comme limite à l’arbitraire de la violence, à l’infinité de la querelle. La loi établit le principe de réciprocité : est juste non pas ce qui satisfait mes pulsions, ni ce qui satisfait les pulsions d’autrui, mais ce qui organise un échange équitable. On obéira à la loi pour ne pas subir d’injustice, à la condition qu’autrui fasse de même. Il faut bien avouer, contre nos idéalistes, que le fondement de la loi est la crainte de l’injustice : je veux bien renoncer à l’affirmation de ma toute puissance, non par générosité naturelle ou par amour de la loi, mais parce que je comprends que cette affirmation déclenche aussitôt la vengeance d’autrui qui aura pour effet de m’infliger  l’injustice en retour. Concevoir la justice comme intérêt bien compris est déjà un grand progrès. La plupart en reste là. Rares sont ceux qui, dépassant ce point de vue purement intéressé, verront dans la loi une forme supérieure de rationalité. Quant à aimer la loi, n’en demandons pas tant !

Il résulte de tout ceci que la valeur justice est dans son principe, son origine et sa fin une création réactive, certainement fort utile à la société, malgré ses imperfections criantes, et utile également à l’individu. Elle combat l‘anomie, règle les échanges, limite l’arbitraire. Mais elle a un prix : le renoncement pulsionnel se paie évidemment en souffrance psychique. Tout progrès en terme de sociabilité et de moralité augmente la frustration, renforce la culpabilité, réduit les chances de bonheur. Cela se vérifie dans les révoltes périodiques, suivies le plus souvent par de nouvelles mesures de rétorsion.

 Notre question est dès lors la suivante : où passe la valeur justice, non plus comme forme réactive, mais comme puissance affirmative, si tout l’édifice culturel repose sur une répression des instincts ? La société impose l’hétéronomie. C’est indéniable, inévitable, universel. Inutile de rêver à des solutions politiques.

La justice affirmative ne se peut réaliser que dans les hautes créations de l’art et de la pensée. Ici l’artiste, le penseur est souverain, concevant, distribuant ses formes et ses idées selon la justice immanente de sa création. En quoi il agit conformément à sa véritable nature, selon une nécessité toute intérieure qui est la forme sensible de sa liberté. Dans son domaine propre et limité il agit à l’image du dieu d’Héraclite, poussant ses pions sur le damier universel. Innocence du devenir, royauté d’un enfant.

 

 

 

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