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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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10 décembre 2017

Sur un PONT d'ARAGON(1)

 

 

Un modeste pont en Aragon, mais si joliment voûté, entre deux berges de rocailles et d’herbes sèches. Quelques arbres sous le soleil attendent le printemps. Tout est calme, comme suspendu entre deux saisons. Des oiseaux guillerets se chamaillent dans la broussaille.  Il y a je ne sais quoi d’irréel, de déplacé dans ce tableau, comme si le temps s’était arrêté, abandonnant sur ses rives ce monument d’un autre âge qui évoque de lointaines conquêtes, d’âpres luttes humaines contre les éléments hostiles, de pauvres précautions contre la furie des eaux.

Ce pont nous fit rêver longtemps, hésitant entre le présent et le passé, entre la nostalgie et l’acceptation : oui, cela fut, et bien avant nous, qui ne voyons que des pierres ajustées, des courbes et des élancements, des équilibres de matière polie, et qui pourtant ne  pouvons  empêcher l’imagination de dériver vers des temps ensevelis. La beauté simple et nue fascine notre intelligence, éveille de subtiles  associations de forme et de couleurs, ravit notre sensibilité d’esthètes. Mais plus profondément nous contraint à voir.

Un homme seul se met à marcher sur le pont, comme appelé vers l’autre rive. Il est courbé dans l’effort, la tête en avant, chevelure grise au soleil. Son cœur le porte vers l’autre bord. Il marche, pour l’éternité il marche, figé par le photographe dans son pas suspendu. Jamais il n’atteindra l’autre rive, et pourtant, de toute son énergie concentrée, il marche. Et voici que, malgré lui, il est devenu comme le pont de pierre, il fait corps avec la pierre, avec les éléments, la terre, l’air, le vent, les arbres, et la rivière même, que pourtant l’on ne voit pas. Il est matérialisé dans la fixité du temps. Rien ne saurait dès lors le détacher de l’unité des choses. L’homme est devenu matière, corps immobile, force paisible, fondu à la conjonction éternelle des éléments.

Repoussant la symbolique facile de la traversée, du passage et du passeur, nous privilégierons l’évidence matérielle, la dureté, le tranchant de la lumière. Il est si rare, et d’autant plus précieux de voir l’homme ramené à sa condition de nature, pétrifié dans la pierre, éternisé dans l’instant sublime de l’immobilité. Dans ce dédoublement singulier s’opère un miracle :

   « Elle est retrouvée ? Quoi ?

   L’éternité».

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Commentaires
Y
il est très beau ce pont fait de pierres et prenant naturellement sa place au sein des éléments.<br /> <br /> Il est très chargé cet homme aux cheveux grisonnants, sa marche immobile le situe encore et encore sur la pente qui s'élève ...<br /> <br /> J'ai toujours apprécié cette image symbolique de votre blog.
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D
Le sage diminue-t-il vraiment tous les jours ? S'il fait corps avec les éléments, s'il s'achemine sans fin sur le pont du réel, il nous faut reconnaître, comme le note Nietzsche avec sa grandiloquence coutumière dans son Zarathoustra, que "l'homme est lui-même un pont et non un but...il est un passage et un déclin". <br /> <br /> Mais de l'image surgit l'incarnation symbolique, l'éternelle présence de cette "corde tendue sur l'abîme" qui est en chacun de nous tous.<br /> <br /> Le jardin philosophe fleurit comme un microcosme de lumière et de pierres taillées, de rencontres improbables, de vitalités croisées, une somme d'interactions jubilatoires dont ce pont est la figure poétiquement définitive. <br /> <br /> Vive les ponts !!!
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