Des QUATRE FIGURES DE L' ANIMA : JUNG
L’Anima est cette puissance féminine qui se révèle à l’homme comme la plus grande séduction et le plus grand péril. Elle compromet l’équilibre que l’homme a laborieusement construit sur la méconnaissance d’une dimension essentielle de son être. S’il est entendu, depuis Lacan, que La Femme n’existe pas, il est loisible cependant, avec Jung, de décrire quatre types fondamentaux, relativement autonomes, mais qui se rencontrent parfois mélangés dans l’expérience de la vie. C’est évidemment sous la forme de l’Eros que se produit la première rencontre : la femme séductrice et sensuelle, comme on voit par exemple dans « Notre Dame de Paris », le roman de Victor Hugo, le trouble diabolique ravager l’âme de l’abbé. Ou dans le film inspiré de Klaus Mann, « L’Ange Bleu ». D’innombrables œuvres littéraires traitent de ce conflit princeps : céder au désir sans basculer dans la passion destructrice. Vivre la richesse de cette rencontre fulgurante sans perdre son identité. Celui qui traverse l’épreuve développe de nouvelles possibilités de vie et de création.
Très proche de cette première figure, et souvent mêlée à elle, voici la Beauté : Hélène, que Pâris, foudroyé par l’amour, enlève à son mari Ménélas, provoquant ainsi l’expédition troyenne. Ou, plus généralement, l’image d’Aphrodite qui combine amour et beauté, sensualité et idéalisation esthétique. Dans le Second Faust (acte III) Goethe fait dire par le Chœur à Hélène s’affligeant des aléas du sort :
« Ne méprise pas, femme merveilleuse
La possession du plus haut des biens.
Le plus grand bonheur te fut réservé
Beauté, glorieuse au dessus de tous ».
Hélène, maudite le plus souvent par les victimes de la guerre et leurs proches parents, se voit parfois étrangement justifiée, comme instrument des dieux, ainsi Apollon dans Euripide :
« Car les dieux ont voulu qu’Hélène fût si belle
Que pour mettre en conflit les Grecs et les Troyens
Et par leur carnage alléger la terre
Des mortels trop nombreux qui la gênaient ».( « Oreste », vers 1639 à 1642).
Pour les Grecs la beauté est plus qu’un don des dieux, c’est une forme sensible de la divinité. A ce titre elle justifie bien des crimes !
Dans l’évolution psychique souhaitable, bien que plus rare, la Forme se spiritualise, la beauté physique cède devant la beauté spirituelle. C’est ainsi que la Diotime du Banquet de Platon exerce une attraction remarquable sur l’âme de Socrate en l’initiant aux mystères de l’amour céleste. Après avoir aimé un beau corps, puis tous les beaux corps l’amant découvre la beauté d’une âme, puis de toutes les âmes, et de là entreprend le voyage vers la sublime connaissance. Diotime est l’initiatrice qui élève vers la beauté véritable, qui n’est, au bout du compte, qu’une des formes de la Sagesse : Sophia, but ultime de la démarche philosophique, quatrième et dernière image de l’Anima.
Remarquons que Hölderlin intitule Diotima le grand amour de sa vie, Suzette Gontard, à laquelle il dut renoncer dans la réalité sensible et qu’il métamorphose en Ange de lumière :
« Mais le temps court. Bientôt mon chant mortel
Verra, Diotima, le jour, qui, proche des dieux
Avec les héros te nomme, et te ressemble ! »
Il m’apparaît indéniable qu’une perte préside à cette spiritualisation. Puisse le destin être favorable et ne point accabler de trop grandes douleurs celui qui, courageusement, entreprend la grande traversée, sans boussole ni garantie, réduit à chercher en son âme le principe qui stimule et qui sauve. Le daïmon lui-même, pour accéder à son authentique lumière, requiert le secours de quelque Diotime magnanime qui sache, pour lui, esquisser le chemin.