AUTOPORTRAIT 3 - poésie 10
3
Elle insiste, elle est chère
Cette voix qui m’intime
De chanter l’éphémère
De chanter la splendeur
La lumière égéenne
L’ivresse et la couleur.
Blanche la voile glisse,
La mer céruléenne
Est l’épouse d’Ulysse.
4
Poète, où donc est ta mémoire ?
Sur les charniers poussent des fleurs
Et notre souvenir, et les pleurs de notre âme
Arrosent doucement la terre
Et tout passe, et tout passe, et même la douleur,
Mais il faut beaucoup de temps,
Avant que dans les fleurs
S'épuise le venin de la peur.
5
J’ai un trou dans la poitrine.
Quand je me regarde dans le miroir je ne me reconnais pas. Ce que je vois ce n’est pas moi. Je vois une vieille chose toute étonnée, déchirée entre ce qui est et ce qui n’est pas.
Deux moments vides, qui ne se rejoignent pas.
Les choses ne sont pas à leur place. Les mots ne disent plus. Tout passé dégorgé, avenir éludé, le temps n’est plus le temps.
6
Tout coule et glisse, et je suis là
Je coule et je suis là
Je n’y suis pas
Je ne suis nulle part
Pourtant je vis bien quelque part
Dans un lieu qui n’existe pas
Qui jamais n’exista.
7
Jusqu’à l’extrême du plaisir
J’ai la pensée lucide et froide
Acérée comme un couteau de chasse
De l’inutilité
De la précarité
De la vanité, de la futilité
De l’insondable inanité
De l’incongruité de toute chose au monde
Comme un rire qui me déchire
Et me cadavérise.
8
Une sourde mélancolie
Envers nocturne, trou noir, abîme...
Je suis habité de la tragique évidence
Que le bonheur est un rêve d’eunuque
Le savoir un trou noir
L’amour un dé pipé
La beauté, grain de peau, un appeau
Mais le plus étrange
C’est qu’avec tout cela il est possible de vivre
Et ni mieux ni plus mal
Comme vivent les sansonnets
Avec un petit quelque chose en plus
Sel de mer, sel de larmes
Comme un poinçon d’acidité.
9
Détrempée, vert-anglais
Fouaillée de soleil
Oasis de lumière liquide
La prairie s’ouvre comme une amante.
Un peuple de moineaux
Bivouaque et chante.
Hélas, aimer la vie facile
Les gens légers, la musique, le vent dans les cheveux
Qu’est-ce donc qui m’arrache à la vie
Me tire obscurément dans l’entre-deux
D’un temps qui monte et qui descend
Et se déchire et se reprend ?