AUTOPORTRAIT 4 (fin) - poésie 10
10
Ce que nous sommes un dieu le sait peut-être
Mais nous, de notre peu de savoir
Nous faisons des palais de cristal, quand l’orage
Arrache la toiture et les murs, et nous jette
Au tourbillon poussiéreux des hasards.
11
J’ai oublié ma langue maternelle
Je suis né d’aujourd’hui
Chaque matin je me réveille neuf, et vierge, et disponible, et désireux
J’ouvre la porte au petit jour
Je ne me souviens de rien
Les mots me prennent par la main
Je danse d’allégresse
Je me rie du destin
12
Je vois le monde dans la fumée de ma pipe
Cela fait de belles volutes bleues et mordorées
Il me semble que mon âme se colore de rose
Les arbres de bleu clair
Cela donne un petit air de Méditerranée
Allègre, vif, matutinal
J’hallucine les blanches voiles sur la mer
Je suis au pays des dieux.
13
Je voudrais inventer des mots nouveaux
Légers, comme des pas de danse
Qui diraient le plaisir d’exister
Des mots, comme des roses
A déposer sur le front de l’aimée
Doux comme des baisers
Des mots qui disent l’aventure
Des mots comme des gouttes lisses
Comme la gaze douce
Comme l’embrun, la bruine et le parfum
O doux arôme, o l’insensible
Ecoulement du temps, comme un nuage délicat
Qui lentement dans le ciel s’évapore !
14
Le poème c’est du rythme
Rien que du rythme
Et ça danse, et ça tangue et ça claque
Sur un pied, sur trois pieds, mille pieds !
L’air est vif, le soleil batifole entre les arbres
J’ai l’esprit clair, le corps sensitif
Je feuillette quelques amis poètes
Je grappille comme un merle
Je ne réfléchis pas
Je laisse venir à moi les mots et les images
Je choisis les plus beaux, j’en fais un bouquet
Je l’offre à toutes les déités
De l’air et de la terre !
15
Que dire ?
Ces textes balancent entre la mélancolie et l'allégresse. C'est ainsi, je n'y puis rien. Qui voudrait une unité de ton me condamnerait à mentir, ou à biaiser. Le fait est que cette humeur changeante, passant brutalement de la gaîté à la tristesse, est la mienne. C'est en vain que j'ai cherché quelque remède à cette singularité, qui passera volontiers pour une disposition pathologique. Je me suis proposé d'être vrai, et nullement exemplaire. D'où la tonalité contrastée, que je ne chercherai pas à polisser ou rabotter : elle est au coeur du dire, elle en est le nerf, le principe actif. Enlevez-moi cette disposition particulière, vous détruisez tout ressort poétique. Qu'aurais-je donc à dire si le daïmon m'abandonne, quelles que soient par ailleurs les turpitudes et les saillies qu'il m'inspire ?
Toute singularité, si elle est vraie, implique un détachement gaillard à l'égard des normes communes. C'est là sa condtion et son prix.
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