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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 mars 2012

HOLDERLIN : la GRECE et la MODERNITE

« Qu’est-ce donc, qui m’attache

Aux anciennes rives heureuses

Que je les aime plus encore

Que le pays paternel ?

Comme en céleste captivité

Courbé, parlant au long du jour,

Je suis là bas, où, les pierres le disent, Apollon

Allait en royale figure,

Où Zeus s’épanchait sur d’innocents éphèbes

Engendrait des fils de sainte manière

Et des filles,

Séjournant muet parmi les hommes ? »

 

                    C’est plus que la passion, c’est la mania céleste qui possède le poète. Du premier jour de sa vie d’adolescent, et jusqu’au jour de la fin, Hölderlin chante la Grèce, celle de Pindare, de Sophocle, de Zeus et d’Apollon. Toute sa vie consciente se déroule là bas, parmi les oliviers, à l’ombre des bois sacrés, entre terre et mer, sur les côtes de la mer Egée. C’est en Grèce que se situe l’action de son unique roman « Hyperion », c’est  à Akragas, ville grecque de Sicile que son Empédocle enseigne avant de se jeter vif dans le cratère de l’Etna. Et c’est à la Grèce que le vieux poète à demi dément consacre son ultime poème. Il aura vécu l’existence pathétique d’un Œdipe moderne : « Je puis bien le dire : Apollon m’a frappé » écrira-t-il, depuis Bordeaux où il s’essaie une fois encore à tenir le rôle humiliant de percepteur à gages. Il faut bien vivre, et il n’est pas poète plus pauvre et démuni que lui, qui refuse par principe une profession honorable de pasteur pour se consacrer tout entier au métier de poète. Car la poésie est un métier, non une sinécure, un effort de tous les jours, une tension presque insoutenable, une fonction sacrée. Comme Œdipe, il veut mener le savoir jusqu’à l’impossible, tenir haut le flambeau quoi qu’il en coûte. Comment faire comprendre à sa mère, qui gère les biens paternels en le privant de son dû, qu’il ne peut faire autrement que de se consacrer à la plus haute tâche : témoigner du divin alors même que les dieux sont morts, et que l’oubli, nécessaire, ne se peut concevoir que dans la plus fidèle infidélité ?

         « Proche

         Et difficile à saisir le dieu.

        Mais où est le péril, croît

        Ce qui sauve aussi ».

Dans l’absence du dieu, dans le silence définitif, il faut garder mémoire des beaux jours, et cesser de pleurer. C’est une tout autre époque à présent : «  A la limite extrême du déchirement il ne reste en effet plus rien que les conditions du temps ou de l’espace ». Ce sont les catégories pures de la sensibilité : le ciel et ses orages, la terre et ses moissons, le temps de la météorologie, et de la chronologie aussi. Le vide en somme, le vide que remplit l’histoire des hommes, mais dans un temps où « début et fin ne se laissent plus du tout accorder comme des rimes ». Hors de l’Aïon, clos sur lui-même comme une sphère, le temps de Chronos se déroule sur l’axe de l’infini indéfiniment ouvert : n’est ce pas la définition même de la modernité ?

On ne peut imiter les Anciens : leur manière est trop éloignée de la nôtre. Plus encore, l’histoire humaine s’est déchirée, et l’avant ne peut inspirer l’après. Commentant la tragédie d’Œdipe, Hölderlin souligne avec force le moment de la déchirure. Tirésias, consulté, avertit Œdipe : Tu veux trop en savoir, et ce savoir te sera fatal. La proximité extrême de l’énigme, la confusion de l’humain et du divin, de l’humain et de la nature dans la violence et le crime, ne peut se racheter que par l’extrême éloignement : Œdipe est condamné à devenir cet errant « atheos » qui ne trouvera de paix en aucun temps et en aucun pays.

Telle est la modernité.

 

 

 

  

 

 

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