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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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24 février 2012

"Une VIE PASSIONNEE"

J’oublie tout à mesure. Je suis un seau percé, mais nullement à la manière du tonneau des Danaïdes qui exprime l’insatisfaction chronique du désir. C’est chez moi une sorte de pathologie de la mémoire ou une incurie de l’attention. Les choses passent à travers moi sans se fixer, sans marquer d’empreinte, sans modifier la structure. Tout est labile, poreux, percé de toutes parts, effeuillé, inconsistant. A peine ai-je le souvenir de quelques livres fondamentaux, de quelques films réputés, des événements qui ponctuent normalement une existence consciente. Les dates, je suis incapable de les retenir, et je vais du jour au jour dans une étrange candeur, une sorte d’imbécillité béate, non sans confusion et pusillanimité. Sans mémoire de rien, je suis comme un nouveau-né, sans référence, sans contenu de pensée, sans continuité, hormis les ornières de l’habitude. Changer m’est impossible, ne fût-ce que dans l’organisation de mes jours. Voyager m’est un calvaire. Programmer, prévoir, anticiper, calculer les pertes et les profits, aménager le pour et le contre -  inimaginable. Je ne puis élever mon esprit au-delà de l’instant présent, dont la pesanteur m’est plus que suffisante. Etre-là, tantôt dans la joie pure de la création, tantôt dans une indicible angoisse, voilà qui fait toute ma vie. Je balance sans cesse entre le meilleur et le pire, alternant, balançant, virevoltant dans mes pensées, qui m’occupent tout entier, suffisent amplement à faire une vie.

C’est là une incommodité regrettable, mais c’est aussi une chance extraordinaire : le présent est d’une actualité brûlante, et sans rien faire, je puis dire comme Monsieur de Sainte Colombe dans « Tous les matins du monde », lui qui ne faisait rien, ne se déplaçait jamais, s’enfermait dans la mélancolie d’une grange musicale : « je mène une vie passionnée ». Le deuil impossible de son épouse, et la musique composée jour après jour à sa mémoire lui tenaient lieu de soleil, de Versailles, de gloire et de béatitude. Je ne souffre quant à moi aucun deuil, aucune tristesse qui ne se soigne, mais je puis comprendre cet excès de renfermement, de resserrement sur un présent qui excède tout le passé et tout le futur. Qu’importent la veille et le lendemain si « le soleil est nouveau tous les jours » ?

On s’est moqué quelquefois de cette inertie apparente. J’en souris de par moi. J’ai toujours considéré que l’intensité de ma vie intérieure ne pouvait s’accommoder de mouvements externes, de grands déplacements et d’investissements mondains. Ma propre passion est une compagne vorace et jalouse qui exclut toutes les rivales. Je n’ai rien d’un Socrate arpentant les rues à la recherche d’une joute philosophique, et moins encore d’un Diogène harcelant les passants ou brandissant une lampe allumée en plein jour. Les exhibitions publiques me font horreur, et les provocations. Je cultive une philosophie toute intérieure, intime : « vivre caché » serait bien ma devise s’il s’agissait de se cacher, mais je ne me cache pas, je me retire. Et je partage volontiers mes idées avec des amis. Mais je refuse l’indécente publicité.

«Philosopher ensemble » - avec des personnes sincèrement décidées à progresser dans la voie de la connaissance et de l’action juste. Ceux-là aussi ont le goût du retrait, réservent leurs opinions et leurs découvertes aux intimes. On me dira : « Vous organisez bien des café-philo, n’est ce pas là une forme de publicité ? » Je réponds que ceux qui viennent, s’ils ne sont pas des amis de la pensée, ne reviendront pas. Quant à ceux qui restent, ils rejoignent peu ou prou la cohorte des amis philosophes. Il faut à la fois étendre la philosophie et la réserver. A chacun d’en faire ce qu’il peut.

 

 

 

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Commentaires
T
Mais qui dort ?
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A
Mais le printemps indiscret va tous nous réveiller
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T
Si je peux me permettre... c'est ainsi que je conçois l'existence ! Quelle merveille de savoir et de pouvoir jouir de ce retrait paisible et intense à la fois !<br /> <br /> Donc, je signe des deux mains !<br /> <br /> Bien amicalement,<br /> <br /> Tante Léonie
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