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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 février 2012

De la VACUITE du MOI : BOUDDHA

La question du moi est au centre de la réflexion bouddhique. Contrairement aux théories  communes de l’Inde antique, Bouddha nie le moi, ou le soi. Entendons : il n’existe pas de substance stable, immuable et immortelle en l’homme, pas plus qu’en tout vivant, soumis à l’impermanence universelle. Que nous ayons un sentiment du moi, l’impression subjective quasi indéracinable d’une permanence et d’une identité stable de notre être, nul n’en doute. Mais cette impression est fallacieuse. Aucune réalité existante ne saurait échapper à la loi d’impermanence, il suffit pour s’en convaincre d’observer le flux mental, les changements extérieurs et intérieurs, la mobilité  des états de conscience, et le fait imparable que tout ce qui est apparu est voué à la disparition. En somme, nous avons l’impression d’un moi stable, nous le voulons stable et immortel, mais il n’est ni l’un ni l’autre. C’est une construction mentale qui fait l’objet d’une sorte de vénération narcissique, à laquelle tout un chacun est pathologiquement attaché, et comme telle la forme primaire de tout attachement. La première règle éthique sera de se détacher de ce culte subjectif du moi.

Pour autant il faut éviter de tomber dans le nihilisme : nous existons bel et bien, nous vivons et agissons dans le monde, mais « nous » ne sommes pas à la manière d’un être substantiel. Montaigne ne dit pas autre chose : d’où tirons nous cette idée d’être, nous qui ne sommes qu’un éclair dans la nuit éternelle ?

Mais alors se pose un problème redoutable. Bouddha affirme par ailleurs la loi du karma (voir l’article d’hier). Notre état présent est le fruit des actes passés. Notre action présente détermine l’état que nous connaitrons dans l’avenir. Mais alors qui subit la conséquence des actes s’il n’existe pas de moi susceptible d’en subir les conséquences ? Comment affirmer la continuité du karma dans les existences antérieures et subséquentes s’il n’existe aucun moi, ou soi permanent ? Cette question trouble les commentateurs depuis plus de vingt-cinq siècles. Et pourtant Bouddha est formel : il n’existe pas de moi permanent et pourtant la loi du karma s’applique sans exception, conditionnant les réincarnations à travers le cycle infini du samsâra, sauf si par la conscience juste et la conduite juste l’agent parvient à infléchir la causalité dans le sens de la libération.

Ce paradoxe est impossible à lever si nous nous plaçons du point du moi : il nous emble évident qu’il faut bien une sorte de sujet qui agisse, éprouve, souffre et s’amende, et comme tel soit l’objet du karma, ou le sujet du karma. C’est que notre esprit d’Occidental est incapable de penser une action (karma) sans sujet. Notre grammaire même exige que le verbe ait un sujet : je souffre, je me réjouis, je subis les conséquences de mes actes, je suis libéré etc. Lorsque l’on demande au Bouddha qui est celui qui connaît la libération (nibbâna)il répond que c’est à la fois quelqu’un et pas quelqu’un, en tout cas pas une personne déterminée, identifiable et permanente. Cette réponse fait écho, très logiquement, à la proposition selon laquelle je suis et je ne suis pas, existant bien en quelque manière sans « être » en aucune manière. Pour comprendre il faut sortir de la logique binaire qui  a façonné notre intellect.

Pourtant la pensée bouddhique est parfaitement cohérente : si l’on écarte le moi substantiel il reste la réalité des flux. Une personne, en langage bouddhique, se dit « flux ». Flux de processus chimiques et psychiques, de sensations, de perceptions, de formations mentales et de conscience, (les cinq agrégats) perpétuellement mobiles, impermanents, interdépendants et reliés au flux universel, emportés dans le Grand Fleuve du samsâra. Rien ne délimite vraiment le flux  personnel du flux impersonnel, si bien qu’il n’existe pas, en toute rigueur, de flux personnel. Prenons l’image du Niagara. Imaginons une goutte emportée dans l’immense flux de ces eaux tumultueuses. Que vaudrait le discours d’une de ces gouttes qui déclarerait : « je suis un élément séparé, je ne coïncide en rien à cette cascade qui me porte, d’ailleurs si je suis ici c’est que je l’ai choisi, et je pourrais tout aussi bien m’échapper de cette frénésie qui m’entoure ! ». Le moi est pour soi cette bulle psychique et auto-référencée qui se construit une peau imaginaire, une volonté et une indépendance imaginaires. En déplaçant le point de vue, en considérant que seule est réelle la cascade universelle on peut parfaitement comprendre que les unités apparentes ne soient en rien distinctes du mouvement universel.

Il en va de même des processus psychiques : « je » suis affecté par tout ce qui m’a affecté par le passé, impressions, souvenirs, actes, influences de l’entourage, conditionnements familiaux et culturels. Tout cela me traverse et continue d’agir à travers moi. Et cela continuera d’agir par de là ma disparition empirique, à la manière d’une onde trans-générationnelle, et agira sur mes descendants. Cela se vérifie tous les jours en psychothérapie. Je suis responsable de ce que j’étais, de ce que je suis, et de ce que je laisse. Je suis un fragment mobile du mouvement universel, qui me traverse de part en part. Mais là encore nous sommes piégés par la grammaire et le vocabulaire, n’ayant aucun moyen de dire cette vérité : je suis en même temps que je ne suis pas, ne pouvant dire ni « je suis », ni « je ne suis pas », ni les deux ensemble, ni aucun des deux. A défaut ,nous disons toujours encore je et moi, mais à présent nous savons qu’au cœur de ce que nous appelons être ne règne autre chose que la vacuité.

Encore une fois : vacuité n’est pas néant. La goutte du Niagara existe bien, et s’il n’y avait aucune goutte il n’y aurait pas de Niagara. Mais la goutte n’est qu’un point de vue particulier qui méconnaît le tout. Les paradoxes bouddhiques se résolvent si nous pensons au niveau du Tout. C’est chez nous l’enseignement si vite oublié des dits Antésocratiques, Héraclite surtout, et Empédocle, qui pourrait nous mettre à l’unisson de Bouddha, et de sa prodigieuse intuition,  si nous prenions la peine de sérieusement les étudier.

 

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Commentaires
S
Merci
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T
Le terreau est fait de tous ceux qui nous ont pris par la main pour ensuite nous laisser une parole singulière. Notre vécu réduit à lui-même, dans sa banalité même, ne présenterait aucun intérêt s'il n'est animé par un souffle, voire un style. Un minimum de reconnaissance envers les éclaireurs de chemins difficiles, les amis bienveillants, même anciens me paraît la moindre des choses. Quelle ingratitude cela serait sinon !
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A
Oubliez! Platon Socrate et Aristote qui n'a fait que dire.<br /> <br /> Lachez! Epicure et les autres.<br /> <br /> Ecrivez-nous votre vécu, votre expérience divine.<br /> <br /> Emportez-nous au fleuve dans le flot des eaux de vos récits du philosophe poète.<br /> <br /> Soyez-vous sans repéres ni pères.<br /> <br /> Vous avez le talent pour écrire, la nature le ciel les êtres l'amour les livres la vie! la mort!
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