"Je me suis cherché moi-même" (2)
Chercher c’est tourner autour (circa : autour de). Autour de quoi ? D’un trou. C’est le trou du réel. Cela clairement posé il n’est plus rien à chercher. Le réel épuise tout, contient tout. Il est le Tout. Mais cela, d’ordinaire, nous ne le savons pas, aussi continuons-nous à chercher, à nous débattre comme des enfants dans les ténèbres. Mais celui qui comprend cela est délivré. Il peut dire comme Pyrrhon : fin de la quête. Au-delà, toute quête est toxique et ne fait qu’entretenir le trouble de l’âme.
Se chercher soi-même exprime nécessairement que l’on se dédouble entre un sujet en manque et une instance autre, inconnue, supposée détenir le savoir qui manque, et dont je suppose qu’il me révèlera à moi-même. Cette illusion est féconde en tant qu’elle me met en route, qu’elle me permet de scruter et de faire apparaître les in-sus, les oublis, les dénégations sur quoi j’ai bâti mon histoire. C’est une sorte de recollection de moi-même aboutissant à une identité narrative qui me tiendra lieu d’identité. Mais cette opération a ses limites. Car enfin, tout le processus repose sur une illusion, sur une mise démesurée et proprement hallucinatoire : j’ai misé sur l’autre, comme fait le croyant qui s’en remet à Dieu. Mais pourquoi s’en remettre à Dieu, quelle que soit la forme sous laquelle il m’apparaisse, si ce n’est par faiblesse et confusion ? Suis-en l’autre ou suis-je en moi ? Où donc est le sujet ?
« Il est sot de demander aux dieux ce que l’on peut se procurer par soi-même ».(1)
La vérité c’est que l’autre est troué tout comme moi, et que le trou est en chacun. Dès lors l’illusion s’écroule. Le roi est nu, il n’y a plus de roi.
La recherche repose toute entière sur le désir de savoir, sur l’espérance de savoir. Quand le savoir atteint son terme, non que l’on sache vraiment mais que l’on sache les limites du savoir, alors apparaît la vérité. La vérité est cet au-delà du savoir qui nous met face au réel.
« Ici point d’espérance, ni de salut : les choses sont ce qu’elles sont ».(2)
Il y a deux sortes de philosophies : celles qui disent que la quête est infinie, situant la vérité dans un lointain inaccessible, et celles qui déclarent : fin de la quête. La philosophie ne disparaît pas pour autant : elle se métamorphose. Elle se fait jeu et danse, et chant, et volupté.(3)
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(1) Epicure : sentences vaticanes 58
(2) Ce n'est pas une citation, sauf à me citer moi-même. Les guillemets pour donner du relief!
(3) Vérité se dit en grec Alètheia. On écrira A-lètheia : non-voilement, ou Alè-theia :danse divine. En suivant la logique de ce texte le dévoilement fera place à la Danse divine, Danse des atomes dans le vide (Lucrèce), Danse des Elements (Empédocle) ou encore, et mieux, Danse dionysiaque de la liberté!