METEMPSYCOSE et PALINGENESE
La métempsycose est une absurdité. Comment penser sérieusement une âme substantielle, une et immuable, qui préexisterait à l’incarnation présente et qui se réincarnerait encore. Et pour combien d’existences? Mais je crois inutile de me livrer à une réfutation en règle, qui a été faite par les Epicuriens (Diogène d’Oenanda, Lucrèce), Bouddha, et par tous ceux qui estiment qu’il est impossible de séparer l’âme et le corps.
Toute autre est l’esprit de la palingénèse (littéralement : nouvelle naissance). D’après cette conception il n’est nullement nécessaire de poser une âme substantielle. On se contente de supposer que le complexe physicopsychique actuel, la somme des éléments, des forces et des actes qui composent un individu, la série des évènements qui le traversent, ne disparaissent pas entièrement à la suite du trépas. Bien sûr la mort dissout l’unité, fort relative d’ailleurs, du sujet qui ne saurait survivre en l’état, mais les composants, dispersés dans le grand Tout de la nature, peuvent très bien connaître une sorte de continuation, inimaginable et imprévisible, dans une forme d’existence post mortem. On dira, et c’est exact, que rien ne garantit que ces éléments concourent à former un être humain, puisque la puissance générative a été détruite. Les atomes entrent dans la danse cosmique. Les pensées, si elles se sont déposées dans quelque forme sensible, ou si elles ont pu féconder l’esprit de ceux qui restent, continueront une sorte d’existence immatérielle mais éminemment active. Les idées ne meurent pas, et ce qui a été pensé une fois peut toujours rejaillir sous une forme nouvelle. Epicure est toujours parmi nous.
Ce n’est en rien une consolation. Cela ne confère aucune certitude d’immortalité. Cela définit plutôt un principe éthique : d’une certaine manière, mon existence excède ma durée finie et engage une suite, sur laquelle je n’ai aucune prise mais que j’aurai, fort modestement, initiée.
A partir de quoi il devient urgent de penser la transmission : qu’est ce qui a suffisamment de valeur pour mériter de survivre ?
De là enfin un principe de sélection : élaguer ce qui pèse, ce qui « accroît le désert », cultiver le meilleur.