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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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23 décembre 2011

De l'OUBLI de SOI

 

 

     Se chercher soi-même c'est chercher le bouddha en soi

     Se trouver soi-même c'est trouver le Bouddha en soi

     Trouver le bouddha en soi c'est s'oublier soi-même

 

J'en suis convaincu de plus en plus, et un peu plus chaque jour : le chemin de vérité mêne à l'oubli de soi. Je veux dire que la quête qui commence par cette question "Qui suis-je?", et qui peut nous torturer assez longtemps, doit trouver un jour une solution. C'est en quoi je pense qu'une philosophie du sujet, telle qu'elle se développe en Occident de Descartes à Heidegger ou Levinas, est à la fois nécessaire et fallacieuse. Trouver dans le sujet une faille constitutive d'où s'origine le désir, creuser cette faille jusqu'à la nausée, ressasser interminablement l'angoisse existentielle, les délices macabres de l'ennui et de l'être-pour-la-mort, voilà qui ne nous libérera de rien. Il en va de même de la psychanalyse selon Freud ou Lacan. 

"Trouver le bouddha en soi", qu'est ce que cela signifie? Que la déchirure subjective, tout en étant réelle - chacun est seul à mourir de sa propre mort - ne doit pas nous empêcher de découvrir un fondement universel qui englobe tous les êtres, les fait naître, prospérer et mourir. Ici "bouddha" est un pur symbole de l'éveil, comme l'indique son nom, par lequel on peut cheminer vers le fondement. Mais on peut choisir un autre symbole, puisque l'essentiel est ce chemin qui doit mener à l'intuition du Tout, qui englobe tout. L'essentiel est que ce symbole soit tout autre chose qu'un pur concept décharné, qu'il mobilise notre affectivité et notre amour, tout en comblant notre intelligence. Spinoza disait : amor intellectualis dei, qui signifie : amor intellectualis naturae. L'amour le plus haut s'adresse nécessairement à la Chose la plus grande, qui contient toute chose.

Dans sa plus haute signification la philosophie sépare et relie. Elle sépare d'abord, car il est nécessaire que le sujet prenne conscience de soi dans sa singularité, s'y reconnaisse et s'y déploie. Les Grecs disent : "Connais toi toi-même " mais ils ajoutent aussitôt : "et tu connaîtras l"univers et les dieux", ce que trop souvent nous passons sous silence. Or cette fin de phrase seule livre l'essentiel, à savoir reconnaître la primauté de l'univers et des dieux. L'ubris, fondamentalement, d'où dérivent tous les maux, c'est la méconnaissance de cette primauté absolue de l'univers et des dieux. C'est en ce sens qu'il faut comprendre : s'oublier soi-même. Cet oubli, dans son sens absolu, c'est la reliaison à ce que l'on n'a quitté qu'en apparence, dans le procès de subjectivation, qui nous paraît à présent fort relatif. La fleur est une, mais elle boit l'eau de la terre et la lumière du ciel.

J'aime évoquer le bouddha, mais autant me parlent Héraclite et Empédocle. Ou Spinoza. Ou Goethe célébrant partout dans son oeuvre le Dieu-Nature. Et Groddeck, quand il énonce cette phrase invraisemblable : "nous croyons vivre (come un moi autonome), en réalité nous sommes vécus par le ça". Car enfin, qu'est ce que le ça, sinon  la réalité tout-englobante dont nous sommes une émanation éphémère, comme sont les fleurs et les cactus. Redécouvrir en soi cette parenté essentielle et indépassable, l'assumer enfin, voilà ce que veut dire "s'oublier soi-même".

 

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Commentaires
E
Deux faces alors, dont la contemplation A-duelle inclus le tiers:<br /> <br /> <br /> <br /> Quand ni réel ni irréel<br /> <br /> Ne se présentent plus à l'esprit,<br /> <br /> Et en absence de toute autre possibilité,<br /> <br /> C'est l'apaisement libre de tout support.<br /> <br /> <br /> <br /> (Bodhicaryâvatâra ix34)
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G
Très beau commentaire, plein de justesse et de poésie. Pour les phénomènes, j'ignore quel en est l'éventuel fondement, mais je ne voudrais pas que la notion de vacuité entraîne la non-existence. Vacuité et phénomènes me semblent les deux faces du réel, ce qui confère aux phénomènes une existence à la fois problématique et indiscutable. Il me semble qu'il faut éviter la thèse nihiliste, qui est l'un des deux extrêmes condamnés par Bouddha - l'essentialisme étantl'autre : Voie du Milieu
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E
Le matin au réveil la conscience est nue, durant 2,3 secondes j'ai oublié de la revêtir de mes oripeaux de la veille.<br /> Dans cette ouverture tout est neuf, frais, pas de conscience de soi mais une présence claire, insouciante, accueillante. Cette infime instant je le reconnais comme l'indice d'un trésor intime uniment partagé. Conscience une ? J'enquête...<br /> Plutôt un espace omniprésent, étendu à l'infini,qu'un horizon lointain; ni atteignable ni inatteignable donc.<br /> Si l'on épouse de coeur l'aventure, le dépouillement pourrait s'avérer un recouvrement...<br /> La forteresse de l'attachement à l'idée d'un moi séparé et autonome se dresse devant le flux de la vie et transforme la moindre contrariété en tempête dévastatrice.<br /> Alors que la compréhension profonde de l'impermanence et de l'interdépendance de tous les phénomènes révèle l'illusion néfaste de cette position défensive( et offensive), elle éveille aussi à cet espace de la conscience ouverte où la vie se joue avec plus de fluidité, et la violence des vents se trouve atténué.<br /> La pensée de l'interdépendance et donc de la vacuité de tous les phénomènes est le joyau sans pareil qu'offre le bouddha à notre méditation. <br /> Si les phénomènes n'ont pas d'existence propre auraient-ils un fondement ? Pas sûr ...
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D
Merci pour ce texte indépassable dans sa féconde intuition et dans sa vérité. Au-delà de la fracture que le sujet découvre en lui, il y a la fracture qui secoue la matière et la vie. Pour retrouver cette "vision" de la totalité sans limite, il est essentiel que l'oubli dont tu parles puisse s'opérer sans déni ni forclusion.<br /> Or, les aléas de l'existence fragilisent sans cesse la puissance vitale et il n'est pas simple de s'abandonner. La souffrance retranche le sujet et l'enferme dans ses antiques crispations. L'équilibre est toujours précaire et le jeu de forces qui anime la psyché, cette "branloire pérenne" fait chuter dans les affres de la décomposition et de la violence intérieure qu'aucune pharmacopée ne soulage vraiment surtout lorsqu'elle demeure théorique.<br /> <br /> C'est pourtant le défi de toute philosophie véritable, de celle qui n'a pas oublié l'horizon inatteignable mais nécessaire de la sagesse.<br /> <br /> Merci encore et c'est une vraie joie de te retrouver au beau milieu de ton jardin philosophe.
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