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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 novembre 2011

Du MONSTRUEUX CONTEMPORAIN

 

                                                                  VI

                                                  DU MONSTRUEUX CONTEMPORAIN

 

 

Dans "monstrueux" on entend encore faiblement "montrer", monstration, dé-monstration. Le monstrueux, cette déformation im-monde du monde, cette ab-erration de l'ordre naturel, cette tératologie organique ou sociale nécessairement provoque la crainte, inspire sourdement une terreur superstitieuse devant "quelque  chose" qui semble défier toute loi, conventionnelle ou naturelle. Y prendre plaisir appelle un châtiment divin. Entre horreur et fascination le monstrueux en appelle à nos instincts refoulés, à notre barbarie inavouable, ce continent noir que la culture avait repoussé dans les tenèbres du Tartare.

Paradoxe : en régime ordinaire le monstrueux ne se montre pas, ne s'exhibe pas, enclos dans le domaine du réservé, du non communicable, du sacré, du secret. Petites monstruosité privées ou familiales, petits ou grands romans d'inceste ou de crime, de harcélements et de viols. Grandes monstruosités publiques des sacrifices sanglants, des guerres et des massacres. Chaque nation a ses histoires noires, ses réminiscences, ses atrocités recyclées en faits de gloire. On croit en être quitte par un vigoureux déni de mémoire. Et puis cela revient toujours. Et c'est alors que le monstueux se révèle dans son horreur nue, absolue, irrécusable. Les uns reculent et prétendent s'en tirer au prix d'un second déni, les autres acceptent, exigent de montrer l'immontrable, quelles qu'en soient les conséquences, estimant que la vérité doit être dite.

Le monstrueux semble ainsi illustrer une loi très générale: la vérité est peut-être impossible à voir sur l'heure et ne se reconnaît que dans l'après coup. Il en a été ainsi des horreurs de la guerre, des camps staliniens ou hitlériens, de tous ces régimes dont l'abomination fut invisible jusqu'à leur écroulement final. Comment se fait-il que l'horreur du présent nous soit si difficile à reconnaître? Cette remarque, pour le moins, justifie le travail de l'historien, aussi insuffisant et douteux soit-il.

Le monstrueux de notre temps a ceci de remarquable qu'il se dissimule mieux que jadis, qu'il est plus difficile à débusquer sous la croûte de nos manières policées, rampant et sinueux, quasi invisible. La pauvreté se cache, les gêneurs sont expulsés, expatriés, les criminels sont en prison, les prévaricateurs honorables sont à l'abri, les cyniques au pouvoir. Parfois éclate un petit scandale médiatique, mais cela ne semble déranger personne. On crie, on rameute, et puis cela se tasse. Banalités du jour. Oubli le lendemain.

Pour prendre la mesure du monstruex contemporain il faut se placer au niveau mondial : y eut-il jamais pareille inégalité entre riches et pauvres? Pareille concentration des pouvoirs? Pareille déviance du savoir au profit de la seule richesse? Cela se sait, mais comme pour la mort on ne veut ni voir ni savoir.

Le monstrueux est bien autre chose qu'une triste éventualité que l'on pourrait combattre avec les armes de la connaissance et de l'éducation. Cette illusion sympathique des Lumières a vécu. Le monstueux, c'est du réel, et de tous les temps. Ce n'est pas une raison pour se résigner. Si la raison n'y suffit pas, comme il est évident, il y faut la force de la loi, des institutions, de la volonté politique. Devant la dérégulation actuelle du politique, on devrait s'inquiéter : si la loi n'est plus la loi, si le pouvoir n'est plus au service du Bien commun, où trouver les forces qui maintiendront le monstrueux dans le Tartare?

 

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Commentaires
M
Je te rejoins cher GK et de toutes forces qu’il me soit permis d’enfoncer le clou. Le monstrueux n’est plus de l’ordre de l’apparaître, du visible ou du flagrant, il est sournois, taiseux, insidieux et se faufile même là où on ne l’attendait pas, c'est-à-dire au cœur de l’intime ou du privé. <br /> La frontière jadis nécessaire au bien vivre ensemble incarnée par la séparation de la sphère privée et publique n’est plus. Mais qu’importe ! Au fond, ce nouveau modus vivendi entraîne presque rien, sinon une dé-liaison banale de l’espace propice aux relations dites autrefois chaleureuses,amicales et sincères, celles de la maisonnée (oikia). La présence et le partage propres à l’apparition de chaque être sont devenus aussi antinomiques que le jour et la nuit. La pluralité naissante et la singularité amoureuse du « QUI sommes nous », s’amenuisent et s’éteignent dans un vulgaire« QUE sommes-nous » pour donner naissance à un soi séparé du « mitsein » qui devient étranger à soi même. <br /> Dé-liaison et démantèlement du soi, concomitamment fondés sur une dé -liaison de l’autre, creusant ainsi jour après jour les sillons d’une inhumanité pour le coup devenue MONSTRUEUSE !
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