D'un mot de THALES : la monstruosité
Thalès soutenait que la vie et la mort sont une et même chose. "Eh quoi, lui dit un quidam, pourquoi dès lors ne mourez-vous pas?" - "Parce que cela ne fait aucune différence".
Cette heureuse conviction est largement partagée dans la haute Antiquité, notamment par Empédocle, pour qui naissance et mort sont des termes relatifs utilisés par les hommes pour désigner un processus apparent. Dans le vaste mouvement du monde déterminé par les cycles de l'Amour et de la Haine il faut soigneusement distinguer ce qui est contingent, accidentel, historique, soumis à la génération et à corruption, de ce qui ne naît ni ne meurt, éternel à l'image du Sphaîros lumineux. La destinée singulière est pour ainsi dire subsumée dans le processus intemporel de l'univers. Le sage se hisse par la pensée à la dimension du Tout, et de là, contemple sans nostalgie la va-et-vient incessant des choses et des êtres, comme la surface agitée dune mer dont les profondeurs éternellement calmes ne sont perceptibles qu'à la pensée.
De telles visions spéculatives nous sont aujourd'hui quasi impossibles. Jetés dans la conscience tragique du périssable et de l'irréversible, nous nous savons mortels sans rémission ni consolation. A la somme inerte et froide des univers de pierre et de gaz nous n'opposons plus rien que le savoir désenchanté de notre finité. Parole de Pascal : nous le savons mais l'univers n'en sait rien.
Il y a quelque chose de monstrueux dans cette conscience, que l'on peut à peine supporter, par quoi nous affirmons notre existence contre le silence du monde. D'autant que cette conscience se sait irrémédiablement destinée au silence.
De la sorte la monstruosité de la conscience est la seule réponse possible à la monstruosité de l'univers.