De la SERENITE
J'estime que l'état le meilleur que l'homme puisse atteindre en ce monde c'est la sérénité. Plutôt que le bonheur qui me semble bien incertain, perpétuellement menacé, branlant comme navire en haute mer. Je n'ai pas le pied marin, ni le goût des altitudes. Je préfère les collines rêveuses aux pics escarpés. Le vol de l'aigle altier planant sur les cimes n'est pas mon image favorite, et je n'envie en rien le sort d'Icare ou de Prométhée. Mon univers intime est tout chtonien, rupestre, agreste et botanique. Je vieillis tout doucement en arrosant mes plantes, caressant mes fleurs, me surprenant tantôt à leur parler comme à de petits enfants. J'y vois une merveilleuse image de la vie dans son expression immédiate, son entêtement à perdurer contre vents et tempètes, courbant l'échine à l'occasion, et se redressant encore plus fort. La fleur est une leçon de philosophie perpétuelle. C'est douleur d'en voir périr l'une ou l'autre, c'est allégressse que de surprendre la délicate poussée d'un bourgeon inattendu, tout tremblant dans le petit matin. Le neuf nous console du vieux, et l'éternel recommencement des choses est la plus belle consolation qu'âme puisse espérer.
C'est merveille que la vigueur de la plus petite tige, résistant, se faufilant, se créant un espace de jeu au milieu de la terre la plus aride et la plus inhospitalière. L'oncle Arthur se voit confirmé dans son intuition majeure, et cela de tous temps et en tous lieux : la vie est vouloir-vivre. Ajouter que ce vouloir est aveugle, absurde, désespérément absurde ne fait que nous gâter le plaisir. L'absurde n'est un argument que pour le penseur morose qui a désappris d'aimer.
La sérénité est le fruit d'un relatif détachement. Et d'un dé-tâchement, d'une dé-préoccupation, d'un dés-oeuvrement conscient et assumé. Le tout est de de se trouver soi-même plutôt que de courir le monde. Dans cette conscience de soi se réalise quelque chose de très différent de ce l'on croyait vouloir, précisément cet accord tranquille de soi à soi qui nous libère.
Parfois, le soir, j'ai le sentiment d'une sorte de suspension, de survol léger en basse altitude par delà les apparences du monde, les passions et les rages, et je me sens glisser tout doucement dans l'apesanteur d'une vie à demi, quelque part entre vie et mort, entre ici et là-bas, et je me dis que tout cela n'est plus très important. Nulle mélancolie, mais une sorte de tristesse sereine qui me fait penser qu'il est indifférent de vivre ou de mourir, que la vie est une mort douce et la mort une manière de vie sans conscience ni douleur, comme sont les plantes quand elles se décomposent et se dispersent en poussière. La terre, et le vent les attendent, les accueillent et les distribuent mollement dans les divers quartiers du monde, en toute égalité et indifférence, et tout continue, et nul n'y peut rien.
"L'Aïon, comme un enfant qui joue aux dés..."