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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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30 septembre 2011

JARDINER SES PASSIONS

  1. Jardiner ses passions, que voilà un beau programme! Que serions-nous sans ces filles indociles, ces trouble-paix, ces catins? Ce sont elles, ces "folles du logis", qui nous inspirent le meilleur et le pire, elles qui nous déchirent, nous exaltent et nous précipitent à l'abîme lorsque nous leur lâchons la bride. C'est un programme bien sot que de vouloir leur extinction sous prétexte de sagesse, c'est prétendre  assècher la mer, éteindre le feu du ciel. C'est d'elles que nous vient tout enthousiasme, tout délire salvateur, toute poésie. Et la philosophie même, qu'une âme sèche croit être toute vouée à la raison, ne se sustente que de les chérir, tout en les redoutant. 
  2. C'est bien à tort que certains stoïciens se mêlent de les réduire à la portion congrue, les estimant contre-nature. Existe-t-il, tout au contraire, puissances plus naturelles, natives et congénitales que les passions, dispositions plus impérieuses, contraignantes et tyranniques? Ah le bel optimisme, et le beau mensonge, chez ceux-là qui sous prétexte de raison ne développent que la passion de la raison!
  3. Jamais la raison ne contrecarrera une passion, seule le peut une autre passion. Le fumeur ne s'arrêtera de fumer que sous l'empire de la crainte. C'est dans la diversité des passions que se trouve un remède contre la domination d'une seule, qui, livrée à elle-même, ne peut de devenir le tyran de l'âme. 
  4. La pluralité passionnelle est la marque de la richesse. Et le danger de dispersion, d'anarchie psychique. Mais sur un tel terreau que de belles plantes, de belles fleurs, si toutefois le sujet est en mesure de les faire jouer les unes contre les autres, les unes avec les autres, favorisant l'une, réduisant l'autre, jouant de leur force, de leur appétit, de leur rivalité, à la manière d'un dompteur avec ses fauves, sans les brimer jamais, mais règlant savamment leur ardeur, avec le souci constant d'une régulation d'ensemble, selon une savante hiérarchie.
  5. Mais cette image du dompteur est encore trop volontariste. Elle lui confère une sorte d'autorité qui prête à confusion. Celle du jardinier est bien meilleure. C'est le ciel et la terre qui font croître les plantes. Le jardinier ne fait qu'accommoder, corriger, sélectionner. Toute l'énergie vient du fond, non de la décision consciente. La nature donne sans mesure, c'est le jardinier qui définit la mesure, fixe les priorités, établit la hiérarchie.
  6. Problème éthique : quelle est ta priorité? Quel est ton instinct dominant, ta passion dominante? Est-ce le pouvoir? La fortune? La volupté? La conquête amoureuse? La beauté?  La connaissance? De là des types humains, des caractères, des "volontés" singulières. Et des nécessités. Rien ne serait plus désastreux que de méconnaître, ou de contrecarrer cette disposition dominante. Il faut, tout au contraire, la cultiver jalousement, arroser la plante, lui sacrifier certaines autres  exigences, sarcler tout autour, mais pas trop, ne pas ruiner la fécondité de la terre, ni arroser trop abondamment, ni assécher, ni noyer, ni enfumer, ni couper, mais favoriser!
  7. Mon instinct dominant? La beauté. Mais l'instinct de connaissance est très fort aussi, et parfois entre en concurrence avec le premier. Fort heureusement, il est entre eux des aménagements, des conciliations possibles, des pactes de non-agression, relativement durables. Le premier l'emporte malgré tout, et quand il faut choisir pour des motifs vitaux la connaissance cède. C'est ainsi que j'honore fort la vérité, mais n'en fais pas une idole. Mon instinct de vie est plus fort, et c'est l'amour de la beauté qui, en dernier ressort, me réconcilie avec la vie, par delà le tragique connu et assumé. Disons que c'est encore ma nature essentiellemnt paysanne qui me sauve malgré moi. Prenons tout doucement les choses comme elles viennent, et tant pis pour la vérité!
  8. L'épicurisme est une sagesse à deux étages. On se recommande de la mesure, de la tempérance, de la limite. On vitupère contre les excès, on proclame haut et fort la primauté de la raison dans la conduite de la vie. Ethique de la justesse. Fort bien. Mais à lire plus avant dans le non-dit on voit bien une accointance remarquable avec la sensation toute nue, avec la chair sensible, le pathos de l'affectivité sensible. Cela n'est pas d'un rationaliste, ni d'un amant de la connaissance. J'y vois quant à moi un amour des choses terrestres, une sorte d'immersion tellurique, de proximité essentielle à l'immédiateté, pour tout dire une passion extrèmement affinée, sublimée, un Eros végétal et animal qui se spiritualise en philosophie du plaisir. L'épicurisme est pour les délicats, quoi qu'on dise. Et pour les subtils. Ce n'est pas hasard qu'Epicure est un "dieu des jardins" (Nietzsche).
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Commentaires
C
Dompteur ou jardinier ?<br /> <br /> Vous opter pour jardiner ses passions ,certes métaphore plus poétique que celle du dompteur . Personnellement je pense que l’on ne peut pas prendre parti si facilement , il ne peut y avoir de certitude ,les deux termes nous conduisent sur la voie de la mesure et sont parfaitement complémentaires . Peut-être le poète s’est-il laisser aller à une envolée lyrique ?<br /> Il est nécessaires de les arroser , de les biner pour qu’elles s’épanouissent mais il faut aussi savoir les dompter pour qu’elles ne deviennent pas trop envahissantes : prendre le sécateur pour couper court est nécessaire.<br /> L’ alchimie est cependant difficile à réaliser ,nous en convenons tous les jours , à savoir garder raison dans la passion (dompter ) et passion dans la raison ( jardiner) . Le problème est de savoir si la raison joue un rôle dans la maîtrise de la passion ? Quel est donc le phénomène qui déclenche cette « maîtrise « ?<br /> <br /> Félicitations pour ce beau texte métaphorique .<br /> <br /> Bien à vous CG
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H
tout en sachant qu'à l'origine passio = souffrance.<br /> Parce qu'elles nous font aussi souffrir les garces!<br /> Le problème de la philosophie antique était de nous détacher de nos viles affres, mais quand on lit un peu Montaigne (via Plutarque) on voit bien que les hommes (j'ai dit les hommes) ont une passion effrénée pour la guerre.<br /> Je ne sais si aujourd'hui, ils se sont détachés totalement de ce travers.<br /> <br /> Ce que je trouve quand même de fondamental chez les anciens c'est surtout la passion de la vertu.<br /> Un mot qu'on recommence tout juste à entendre de ci de là.<br /> <br /> Mais la raison n'est jamais que le pendant de la passion, son contradicteur, et elle n'a pas souvent le dessus sur la passion. Et puis les humains raisonnent trop! Ils ne laissent plus de place aux sensations, au corps même, le grand oublié de la philosophie, comme si on était coupé en deux: la réflexion d'un côté et les bas instincts corporels de l'autre. <br /> Ainsi Descartes en était-il arrivé à dire que les animaux ne pensant pas n'étaient que des machines.<br /> <br /> Mais peut-être le sommes-nous pareillement parce que nos pensées malgré tout sortent de notre chair.
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