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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 septembre 2011

DESIR de GRECE

Voilà plusieurs années que je ne me suis rendu en Grèce, le pays de mon amour...Ce que j'entends dire tous ces temps-ci sur ce pays des dieux me remplit de tristesse et de nostalgie. Bientôt on n'y rencontrera plus que des Allemands et des Chinois, acquéreurs à bas prix de ce qu'il reste de la déconfiture historique. Mais laissons cela. Il restera toujours, on peut l'espérer, le sourire innombrable des flots, la pure surface de lumière scintillante, vibrante, les bocages consacrés aux Muses, si du moins la négligence des autorités ne laisse pas flamber ce qui reste de végétation. Retour aux Antiques, dont la splendeur inaltérée rutile et miroite dans l'universelle beauté...

C'est des Grecs que j'ai reçu l'impulsion salvatrice, de la scupture d'abord, de l'architecture, de la poésie tragique, avant de découvrir, après Hölderlin, Schopenhauer et Nietzsche, l'inénarrable magnificence philosophique. La Grèce, c'est la philosophie, et pour moi ne sont philosophes, authentiquement, que les rares esprits qui communient dans cet amour. Ici la beauté n'est pas un concept, c'est la qualité même de la vie, son apparence triomphante, jusque dans les affres du tragique. Les Grecs ont su magifiquement allier la certitude tragique au culte de la beauté.

Prenez Epicure, ce monument érigé au terme historique de l'hellénisme, avant que l'empire, puis Rome et le christianisme ne dissolvent l'inspiration grecque. Si vous me demandez ce que j'admire tant dans cet auteur, je réponds sans hésiter : la beauté. Cette réponse surprendra. On y voit généralement tout autre chose : la thèse matérialiste qui séduisit Marx, la morale du plaisir, l'apolitisme souriant, et bien d'autres choses selon la complexion de chacun. Mais je doute que soient nombreux ceux qui répondront comme moi : la beauté. Et pourtant! Je vois essentiellement dans Epicure une "esthétique", soit, avant toute chose, une fine glorification de l'apparence, une acceptation totale des données immédiates de la sensation, un refus obstiné de poser la question de l'essence des choses, une indifférence remarquable à la vérité : est vrai ce qui apparaît, ce qui me heurte ou me caresse, me met dans une relation charnelle immédiate avec tous les corps, me plongeant sans réserve dans un univers tactile, auditif, olfactif, musical dont jamais je n'aurai à soupçonner la véracité. D'où, bien sûr, une pratique du plaisir entendu comme souverain bien. Beauté des corps, beauté des hétaïres demeurant au Jardin, compagnes de parole et de volupté, beauté de la lumière qui baigne le monde, le transposant dans une féérie apolinienne, où la mort elle-même cesse d'être un obstacle au bonheur. Tout est là, dans la plante, dans l'animal, dans tous les corps, et les dieux, là haut dans les intermondes, sont encore des corps, indestructibles et bienheureux. Esthétique de la sensation, esthétique de la beauté. Non qu'il en oublie la dimension tragique, loin de là! Comment le Grec Epicure ne  saurait-il pas, ne mesurerait-il pas le tragique, lui qui recommande le spectacle des tragédies, qui connaît la tradition, et qui dans Démocrite a mesuré l'inanité de nos savoirs. Oui, le tragique est bien là, une lecture attentive des textes le confirme, mais de ce tragique Epicure ne fait pas un refus de l'existence, il n'en tire aucune amertume, ne cultive aucun ressentiment, le laissant où il est, dans l'abîme, dans la non-connaissance, professant en somme une forme inédite d'indifférence, sans haine, sans regret, sans tristesse. C'est la vie. Mélange de déplaisir et de plaisir, de douleurs et de jubilation, le tout étant de se rendre disponible au plaisir en réduisant la douleur par la pharmacopée du corps et de l'âme.

Sublime monument au bonheur d'exister, ultime témoignage de la vie belle et bonne, avant les ténèbres, l'ennuitement du monde. Et dans chaque paragraphe, dans chaque ligne, dans chaque mot quelque chose de cet équilibre ultime peut résonner pour nous, si nous savons lire, ou plutôt nous laisser porter par cette musique...

Oui, la Grèce me manque. Et la Méditerranée, et la Mytilène de Sappho, et Ephèse, et le Jardin du Bienheureux. Emigré dans le sud de la France j'ai un temps retrouvé quelque chose de la lumière méditerranéene, mais l'océan n'est pas la méditerrannée, les Pyrénées ne sont l'Olympe, et la France n'est pas la Grèce. Et pour rester en harmonie avec le divin, je perçois, quand je le peux, ce monde qui m'environne, tout pénétré de lumière grecque, relevé dans l'orbe de l'intemporel, fondu dans l'éternité qui de passer sans cesse ne passe jamais.

Je suis un peu comme cet Hölderlin, rivé dans sa chambre au bord du Neckar, contemplant les nuages de Souabe, écrivant entre deux rêves un poème dont la Grèce est le centre invisible, le noyau aimanté, avant que la nuit à jamais ne l'emporte. Faut-il s'étonner que le dernier poème de sa main s'intitule : Grèce"?

 

 

 

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Commentaires
G
Plus près du texte grec :<br /> <br /> "Les étoiles autour de la lune belle<br /> De nouveau cachent leur aspect de lumière<br /> Quand pleine, à son apogée, elle éclaire la terre<br /> D'argent...<br /> <br /> Merci... la poésie toujours et encore!
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M
Je partage cet engouement pour ce magnifique pays pour avoir visité tantôt Athènes puis quelques îles des Cyclades de la mer Egée méridionale. Entre autres, j’ai découvert Santorin (devenue cependant trop touristique à mon goût) et Paros : une île superbe, extrêmement ventée et beaucoup plus sauvage en forme d’ellipse. In situ, se dégage une sorte de présence solaire et lunaire qui vous traverse.Quelques vers de la poétesse me reviennent en mémoire. <br /> « Les étoiles autour de la splendeur lunaire,<br /> Cachent à nouveau leur clarté<br /> Lorsque d'un vif éclat elle revient briller,<br /> En son plein, au-dessus de l'ombre de la Terre.<br /> <br /> La lune s'est couchée, Les Pléiades aussi. »<br /> <br /> (Extrait choisi de « Nocturne » Sappho)
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