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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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30 août 2011

POURQUOI la DECLINAISON ? de l'ESPACE INFINI

La physique ancienne, de Thalès à Aristote, distingue dans l'espace des pôles d'attraction et de répulsion, des secteurs de valeurs différentielles. Le ciel est pensé comme sphère du divin, lieu intelligible, modèle de toute perfection. Tout en bas le domaine sublunaire, et la terre entre les deux. La physique traditionnelle est projective et animiste : la nature incarne et représente les diverses tendances de la psyché, le haut et le bas, le fort et le faible, le parfait et l'imparfait, le sensible et l'intelligible, le divin et l'humain, le sacré et le profane : topique de l'âme, économie et politique des valeurs. L'espace est orienté, polarisé, sectorialisé. L'homme y expose, y joue dramatiquement sa destinée mortelle, tiraillé entre l'aspiration au divin et les tentations chtoniennes. La nature est une sorte de théâtre métaphysique et fabuleux, où les dieux et les hommes jouent leur partition règlée, selon les lois inflexibles du destin.

L'école d'Abdère, de Leucippe à Démocrite, invente le vide infini, et son corrélat nécessaire, l'infinité des atomes. Toute la conception de l'espace s'en trouve bouleversée. Plus encore, l'infinité des mondes fait exploser l'image classique d'un cosmos fini et sphérique. Dans cet extraordinaire éparpillement de l'être, dans cette extension infinie, aucun centre n'est centre, si ce n'est pour lui même, et il y aura autant de centres que de mondes, chaque monde étant centre pour soi, et pour soi seul. C'est toute la conception traditionnelle du cosmos qui explose : plus de ciel intelligible, si le ciel n'est plus que l'apparence sensible du vide, si des milliards d'étoiles se distribuent dans l'aléatoire, s'il n'existe plus de haut ni de bas absolus, ni de sacré qui fait sens par rapport au profane, si l'espace est simplement ce vide infini où se font et se défont les mondes.

C'est ici que la théorie de la déclinaison prend tout son sens. Il fallait que la conception de l'espace infini et du nombre infini des atomes soit déjà acquise pour que  la déclinaison soit simplement pensable. Comment concevoir, si les atomes sont infinis dans un espace infini, dans cet éparpillement extrême, cette dissémination, que des corps puissent se former, comme l'atteste la perception sensible? Les corps existent, nous les rencontrons, et nous même nous nous vivons comme corps : mais alors comment passer de la dispersion des atomes dans le vide immense à la composition, aux agrégats -nous dirions aujourd'hui aux molécules, aux corps composés, aux organes, aux organismes, aux systèmes végétaux et animaux, aux corps gazeux, liquides etc? Ce qu'il faut penser c'est la collision atomique, l'agrégation, la composition. Mais comment des atomes qui dérivent dans le vide peuvent-ils se rencontrer? Epicure dit : c'est la déclinaison.

La déclinaison achève le processus de démythification de l'espace. L'espace est le lieu neutre, insignifiant des déplacements et des combinaisons. Toutes les parties de l'espace se valent - d'autant que ces parties sont de pures abstractions, des élaborations rationnelles, correspondant aux "parties de l'atome", elles mêmes purement spéculatives. Le haut et le bas ne se disent que relativement à un fragment d'espace, et n'ont aucun sens dans l'infini. Lorsque Epicure écrit que les atomes chutent indéfiniment dans le vide il ne faut pas entendre ce haut et ce bas comme des valeurs ou des points fixes, mais uniquement comme une représentation qui fait sens à notre niveau, et ne signifie rien dans l'absolu.

Que certaines conceptions modernes de l'astrophysique soutiennent que l'espace est courbe, qu'il se développe, à la manière d'un ballon qui se gonfle, relativement à l'expansion d'un système galactique, ne change rien de fondamental : l'essentiel est de ruiner les chiméres de la mythologie. Infini, continu, homogène, l'espace est le lieu vide où s'accomplit à l'infini la naissance et la destruction des mondes.

 

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PS : Que l'espace soit euclidien, courbe, multidimensionnel, ou de telle forme que l'on voudra, il faut penser que ces particularités sont locales, liées à des formations locales, mais que l'essentiel est de le concevoir infini. C'est ainsi qu'il peut recevoir et absorber toutes les innovations sans rien perdre de son extensivité. Il est de première importance de maintenir ce principe que, dans la nature, tout phénomène, observable ou non, relève d'une explication purement naturelle. Pour le reste on peut tabler sur les progrès de la connaissance pour affiner les modèles, sans prétendre parvenir jamais à une certitude absolue. Ou encore, comme fait Epicure, admettre plusieurs explications - par exemple pour les phénomènes astronomiques ou météorologiques, sous réserve qu'elles respectent le principe naturaliste. Ne pas s'obstiner dans une doctrine unique, ce qui serait contraire à la recherche  de l'ataraxie, mais par ailleurs  se montrer intraitable sur les principes de base, sans quoi "on se met en dehors de toute science de la nature pour tomber dans le mythe" (Epicure : Letttre à Pythoclès, 87).

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Commentaires
A
bravo !!!
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