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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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12 juillet 2011

De LA LIBERTE : déclinaison

Comment affirmer la liberté lorsqu'on est atomiste? Surtout si l'on fait la critique acerbe des thèses idéalistes du libre-arbitre, selon lesquelles la liberté jaillirait incompréhensiblement de quelque vertu "divine" supposée, d'une participation fantasmatique au ciel intelligible? Pour un atomiste conséquent tout est nature, et il ne peut y avoir qu'une seule nature, qui est le Tout. Si une liberté existe, elle prend sa source dans la disposition et la composition universelle de la matière. 

Là dessus deux conceptions sont possibles. Ou la nature est totalement déterminée et dès lors tout s'enchaîne selon la causalité universelle. Alors la liberté, comme indétermination et création de nouveauté est impossible. Ou à l'inverse, alors même qu'il existe des chaînes causales répérables et nécessaires, il existe par ailleurs des îlots d'indétermination, à partir desquels de nouvelles chaînes causales surgissent, entraînant de nouvelles combinaisons, et de nouveaux effets. C'est la théorie de la déclinaison (parengklisis : inclinaison de côté), indispensable à la compréhension de la physique épicurienne. Si l'on veut comprendre la prodigieuse inventivité de la nature il faut poser qu'il existe à côté du mouvement nécessaire et linéaire de la causalité une capacité de l'atome à dévier de sa course première, à faire un écart, "en des lieux, en des temps inassignables", lequel entraînera de nouveaux chocs, de nouvelles combinaisons, aléatoires et incalculables au départ, mais dont les effets peuvent être considérables. Songeons par exemple à une légère mutation dans la duplication du programme génétique d'un espèce, qui, se reproduisant dans le temps grâce à des conditions favorables, fera naître une espèce nouvelle. C'est ainsi que Lucrèce, reprenant la théorie de la déclinaison (clinamen), distinguera soigneusement les "foedera fati" - liens du destin - les chaînes causales déterminées, des "foedera naturai" - liens de "naissance", liens de Vénus, liens de nouveauté, issus d'une nouvelle combinatoire du clinamen. De la sorte il faut concevoir l'organisation et les mouvements de l'univers selon une double logique : des processus alétoires et des chaînes causales déterminées. De la répétition et de l'innovation. De l'ordre et du désordre. Ni la seule et totale  improvisation du hasard, ni le seul et univoque déterminisme causal. C'est ainsi que l'on peut rendre compte, et de la constance des phénomènes susceptibles de se ranger sous une loi rationnelle (régularité relative des saisons, révolutions célestes etc) et des formidables innovations de la nature (apparitions et disparitions des espèces vivantes, phénomènes rares, formation des mondes etc).

La liberté se définit de la sorte par l'indétermination : en un lieu, en un temps, également inassignables, se produit une déclinaison, une dérivation inexplicable, imprévisible, aléatoire. L'essentiel est de penser l'indétermination relative de la nature, seule apte à expliquer sa prodigieues inventivité. Si le monde familier qui nous entoure paraît régulier, répétitif et ordonné (un cosmos?), donc connaissable, il ne faut pas autant en conclure à la détermination totale du Tout. Donc il faut refuser le déterminisme strict. Et de même on rejettera la thèse du hasard absolu, puisqu'il existe manifestement des régularités causales observables.

S'il existe une sorte de liberté principielle dans la nature il devient possible de concevoir, par analogie, une liberté dans les mouvements organiques et psychiques. C'est ainsi que dans l'animal même, que certains comme Descartes veulent assimiler à une machine, il est loisible de supputer un mouvement automone, inexplicable par le seul déterminisme de l'instinct. Ne voit-on pas apparaître de-ci de là des innovations comportementales, des ruptures d'adaptation suivies d'adaptations innovantes chez le chien, ou l'ours, et jusque dans les bactéries? La chose est encore plus manifeste chez l'humain, qui présente une telle diversité de comportements à travers l'espace et le temps. Sans compter l'incroyable variaté des cultures, des institutions, des lois et règles, des opinions et des actions. Décidément, il est bien difficile de soutenir sérieusement la thèse du déterminisme. A l'inverse la tentation est grande, dans les esprits religieux, d'invoquer je ne sais quelle disposition céleste qui, pour sauver le libre arbitre, nous mettrait sous la gouvernance des dieux.

Si je relativise la nécessité ("irresponsable"), si je fais sa part au hasard ("instable") sans le diviniser, reste ce qui dépend de nous : "notre volonté est sans maître". A partir de cette indétermination de principe que j'évoque à la fois dans la nature physique et dans la nature biologique et psychique, se donne la capacité de produire une nouvelle chaîne causale, que je pourrai également interrompre ou modifier. Il en est ainsi de mes désirs : mon désir me porte spontanément vers le plaisir, loi de nature, foedera fati ; posons un obstacle, le désir est contrarié. Conflit, conscience et de l'obstacle et du désir contrarié. Réflexion: que vais-je faire? Renoncer, m'acharner, obvier, inventer une nouvelle direction? Parengklisis : de même que l'atome dévie, heurte un autre atome et produit une nouvelle combinaison, je me heurte à l'obstacle, je rebondis, j'invente une nouvelle trajectoire de désir. A y regarder de près Freud ne dit pas autre chose : la pulsion, jamais en reste, ou se refoule, ou se déplace, mais ne disparaît jamais.

La théorie épicurienne de la nature et de la félicité resterait incompréhensible et bancale sans l'affirmation de la liberté. Mais cette thèse doit se penser dans le cadre général et indépassable de l'atomisme. Il fallait affirmer la liberté pour rendre la vie éthique pensable et réalisable. Mais sans invoquer ni la Providence des Stoïciens, ni le dieu de Platon. Fonder la liberté sur le seul terreau où elle peut se penser et se vivre dans l'excellence : l'universelle Nature.

 

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Commentaires
H
OK, vous niez donc la distinction vouloir/pouvoir, même si vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez.<br /> Merci pour votre réponse.
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G
Il ne faut pas confondre qualité et quantité. De ma volonté vient mon pouvoir. Je parle des actes et non des choses.L'acte est indivisible. Il peut ne pas aller jusqu'à l'accomplissement mais il n'en reste pas moins un tout indivisible dans lequel pouvoir et volonté se fondent l'un dans l'autre. Peut importe si j'ai voulu et si je n'ai pu.J'ai agi. Le paraplégique sait qu'il ne peut et ne pourra macher. Cela l'empêche t-il de le vouloir, de l'espérer ? C'est son pouvoir de vouloir. Ou alors je voudrais le faire mais je ne le fais pas parceque de toute façon je ne pourrais pas. Je m'attribue ainsi une qualité intermédiaire. Désaccord ? Au contraire, accord parfait de toutes mes qualités du moment qui n'en forment plus qu'une. C'est mon point de vue.
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H
"Notre nature ne peut se constituer de deux qualités distinctes, celle de pouvoir et celle de vouloir."<br /> <br /> Il arrive que notre volonté et notre pouvoir d'action soient en accord, mais ne faisons-nous pas fréquemment l'expérience de leur désaccord ?<br /> Nieriez-vous que (parfois ? souvent ?) nous voulons des choses que nous ne pouvons accomplir ?
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G
De la liberté : la délibération<br /> La liberté n'est ni conformité ou opposition à la nécéssité rationnelle ni opposition à la nécessité naturelle mais conformité à soi car je peux bien me décider contre toute raison et dans certains cas, ce sera la meilleure des raisons. Elle est l'expression de notre caractère qui n'est rien d'autre que notre histoire, de notre passé en tant qu'on le lance , dans un moment qui se constitue dès lors comme présent vers l'avenir. Notre nature ne peut se constituer de deux qualités distinctes, celle de pouvoir et celle de vouloir mais d'un processus de continuité hététogène qui tend au dessous de toute action, un filet d'espace dont la représentation distincte, celle là, n'est que l'intelligence.<br /> L'endroit où je me reconnais le mieux est l'endroit de ma liberté. <br /> S'il devait y avoir quelque part nécessité, mon action libre se détachera de la délibération comme un fruit trop mûr. Mais n'y voyez pas un asservissement aux déterminations passionnelles et affectives. Je ne suis soumis qu'à la poussée du temps en tant qu'elle ne suppose aucun possible devant elle. Elle devient de ce fait créatrice de l'avenir en lequel elle s'introduit.Elle se caractérise par un certain type de nécessité et se signale en même temps par sa liberté.
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H
L'incompatibilité entre déterminisme et liberté est très loin d'être évidente. Permettez-moi de citer ce texte de Quine, en forme de sourire de chat du Cheshire :<br /> "Tout individu est libre, au sens ordinaire du terme, quand il peut faire ce qu'il veut ou qu'il juge convenable ; le fait, si c'est bien un fait, qu'il y a des causes à ce qu'on veut ou qu'on juge convenable n'y change rien.<br /> L'idée que le déterminisme exclut la liberté s'explique aisément. Si les choix sont déterminés par des événements antérieurs, et au fond par des forces extérieures à soi, comment pourrait-on faire des choix différents? D'accord, on ne le peut pas. Mais la liberté d'agir autrement qu'on veut ou qu'on juge convenable serait un bienfait médiocre."<br /> <br /> Ce texte n'endosse nullement la thèse du déterminisme ("le fait, si c'est bien un fait..."), il tend seulement à montrer que la causalité n'enlève rien à la liberté comprise comme accord entre volonté et action.<br /> En quoi le hasard me rendrait-il plus libre ? Où est la différence entre un accord volonté/action dû au hasard ou à une causalité déterminée ?<br /> <br /> Il me semble en fait que vous confondez liberté et nouveauté. Or, il arrive souvent que je veuille faire des choses très banales et peu nouvelles (boire un verre d'eau, me déplacer) et que j'y parvienne ; j'agis alors conformément à ma volonté, librement, alors que les créations arrivent le plus souvent par "trouvaille" inattendue, involontaire.<br /> <br /> De plus, l'innovation n'est pas nécessairement sans lien avec la causalité. En chimie, le mot "émergence" a un sens précis, alors qu'il est actuellement mis à toutes les sauces : on appelle C un phénomène émergent s'il résulte de la rencontre entre A et B qui, chacun considéré isolément, ne contiennent pas C. <br /> A et B sont cependant la cause de C, cela est confirmé chaque fois qu'on les met en relation.<br /> <br /> Liberté et innovation, qui sont deux choses distinctes, ne sont donc nullement incompatibles avec le déterminisme. <br /> Ceci ne prouve nullement la thèse métaphysique selon laquelle "toute chose est nécessairement issue d'une autre selon des lois", mais évite de faire dire au déterminisme ce qu'il ne dit pas.
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