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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 juin 2011

Les "MAUVAISES HABITUDES" : l'art de la ruse

Les "mauvaises habitudes" ont leur discrète fascination. Elles s'édifient dans doute sur des erreurs de jugement, des rencontres et des hasards, dont le charme ancien s'est de longtemps diissipé, mais qui s'obstine à persévérer dans une sorte d'autonomie irréductible. On voudrait bien s'en débarrasser, les estimant puériles ou calamiteusues, mais elles manifestent une étrange force dans leur aveuglement et leur ineptie. Ce sont des constructions du passé qui poursuivent une vie inaltérable dans le présent, lui conférant une sorte de régularité, de sécurité, comme ces gestes jadis appris, dont l'origine nous est inconnaissable et qui singulièrement nous rassurent. On peut les aborder de front, décider du jour au lendemain de les chasser de notre vie. Cela ne marche pas très souvent. On peut aussi, constatant leur puissance, apprendre à ruser. Selon un proverbe bien connu "la meilleure façon de se débarrasser d'une tentation est de lui céder". Cette solution est la plus économique, elle nous dispense de violents efforts, nous soulage de fâcheuses tensions, d'ailleurs  inefficaces dans la majorité des cas. Tous les éducateurs savent cela. La solution la plus commode est encore de composer, de ruser, de céder, mais avec parcimonie, et selon des règles qui sont les nôtres.

J'ai découvert le plaisir du tabac dans ma prime adolescence. Je n'ai jamais pu m'arrêter de fumer. Cela n'est ni raisonnable ni glorieux. Pour une raison qui m'échappe encore l'action du tabac sur mes neurones est des plus agéables, des plus stimulantes, au point qu'il m'est fort difficile de penser, de lire, d'écrire sans cet adjuvant pernicieux. Mes cures de sevrage, d'ailleurs brèves et parfaitement inutiles, m'ont convaincu que l'activité de penser ne se pouvait faire sans stimulation artificielle. Hors de quoi je suis absolument stupide, autistique et niais au delà de toute imagination. Après quelques bouffées de pipe bien senties je me sens qui m'ouvre, m'éveille, m'épanouis, me différencie : les idées jaillissent, les associations se font, légères et fécondes, la pensée se hisse à l'universel, bref je pense...

Mettez-moi au régime sec, vous tuez ma capacité créative.

Comme je suis parfaitement conscient du péril pour ma santé, je me suis donné un système de règles qui me préserve tout en conservant les avantages de l'addiction. D'abord refuser la cigarette, poison mortel à tous égards. Il est trop facile d'allumer une cigarette à tout propos, sans même s'en rendre compte. C'est là pratique de fumaillon. Le cigare est délicieux, mais trop fort pour moi : il m'abrutit au lieu de me stimuler. Reste la pipe qui offre d'appréciables avantages : le goût, que l'on peut varier à l'infini avec toute la gamme des tabacs aromatiques, le plaisir du bois, de la forme, à condition de posséder plusieurs pipes et de les laisser reposer suffisamment. Ajoutez le temps : il faut en pour choisir, bourrer, allumer, mettre en conbustion, apprécier. D'où une consommation nécessairement réduite. La conscience, ici, introduit d'elle même la tempérance. Et la qualité. Au fumaillon frénétique et névrosé le fumeur de pipe oppose sereinement l'image de la modération, de la trempérance paisible, de la sérénité. Ce n'est pas un hasard si l'on associe la pipe à la sagesse, à l'âge des contemplations tranquilles, à l'art de prendre le temps.

Un vice peut-il devenir une vertu éthique, un art, une discipline, une "exercitation", une askèsis? Pour en juger il faut d'abord se débarrasser de tout jugement moral, évacuer la question du bien et du mal. Penser en termes d'économie psychique. Evaluer plaisir et déplaisir. Toute activité se fait sous l'aplomb de la mort, et l'on soutiendra avec raison que courir en voiture, à cheval, en vélo, et même à pieds est un risque. On peut mourir, et d'ailleurs on meurt aussi, à ne rien faire du tout. Pour le reste chacun pèsera ce qu'il accepte de risquer au regard de ce qui lui fait plaisir. Si je ne puis me refuser une satisfaction je peux tout du moins en mesurer la pratique par la conscience, et doser, et jouer, et composer. On peut soutenir que l'art martial est dangereux, et le thé aussi, si j'en abuse. Chez moi l'"art de la pipe" sera nécessairement lié à l'art de la conversation ( écouter et parler avec des amis, en tirant sur son foyer allumé, quel plaisir!) à l'art d'écrire (je ne puis tracer une ligne sans elle ), à l'art de boire (ah le goût du café, mêlé des fragrances tabagiques!) et de lire enfin, pour ne pas baîller au bout de quatre pages!

"Jouir et faire joiur sans faire de tort à personne...". C'est dans cet espace que se pose la question de l'art. La Mettrie avait écrit un"Art de Jouir". Epicurien défroqué et vagabond il fait écho à la maxime de Chamfort citée plus haut. Pour penser correctement la nature de l'art il faut en finir avec l'obsession de la finalité : ne plus agir pour..., ne plus penser en termes de gains et profits, ne plus soupeser de bénéfices. Et pas davantage se soumettre au diktat de la Beauté, ou de l'utilité, ou de la propagande politique et commerciale. La pratique, l'exercice, l'askèsis, l'entraînement, la discipline, non pas pour broyer les corps, raidir les âmes, soumettre la pensée aux impératifs moraux, mais dans un libre esprit de développement intérieur, où le corps et l'âme, leur unité inséparable, vont d'un même pas, s'engager tout entier dans une régulation formative : les Grecs avaient forgé le concept d'"arêté" - l'excellence, la virtu (sic en italien, et ce n'est pas notre pâle vertu). L'excellence ainsi comprise avait sa fin en elle-même, et sa propre éjouissance.

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