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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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26 juin 2011

ASKESIS : les deux niveaux de la PRATIQUE

Askèsis : exercice, pratique d'un art ; exercice gymnique. Par extension toute discipline qui vise un perfectionnement, physique ou mental. Nous en avons fait "ascèse", qui se colore de tendances spirituelles, et "ascétique", avec des relents spiritualistes et rigoristes. Je voudrais, quant à moi, revenir au sens premier, considérant comme "ascèse" toute discipline qui se propose une modification des données naturelles, dans le sens d'un perfectionnement, d'un affinement, d'une sélection et d'une hiérarchisation des forces.

Si l'animal est d'emblée et définitivement ce qu'il est, l'homme, dans toutes les cultures et tous les continents, est soumis par l'éducation à une exigence de développement vertical qui s'exprime dans une hiérarchie de valeurs : le fort vaut mieux que le faible, le riche que le pauvre, le courageux que le lâche, le savant que l'ignorant, le puissant que l'impuissant. Les termes varient selon que la société est de type militaire, marchand, financier, industriel, spirituel etc. Mais la tension entre le bas et le haut existe toujours et partout. Chaque individu qui apparaît en ce monde est sollicité de la manière la plus urgente et pressante à se livrer à un travail de transformation de ses tendance instinctives, de perfectionnement selon les critères en vigueur. Nulle culture ne peut vivre et se développer sans mettre en place une "police "des moeurs", un système d'obligations et d'interdictions qui vise à produire un certain type d'homme par quoi l'idéal social se conserve et se reproduise à travers le temps. Cet idéal se réalise concrètement dans des pratiques corporelles, des comportements, des attitudes, des options existentielles dont la source et le sens demeurent généralement inconscients, ce qui contribue encore à les renforcer et les éterniser.

Cette Askèsis très générale se double, dans les sociétés évoluées où l'individu peut accéder à une certaine conscience de soi, d'un seconde askèsis, personnelle et privée, visant à dépasser, ou contrecarrer la première dans une excellence de rareté : le renonçant hindou qui abandonne famille et clergé pour se consacrer à la contemplation ; le philosophe ionien qui scrute les météores, fouille les entrailles de la terre pour construire un système du monde rationnel ; le mystique réfugié au désert ; le chercheur épris de savoir ; l'artiste qui fait de sa propre vie un terrain d'observation et de création ; le poète ; le délicat ; l'esthète, et tant d'autres figues de la contestation et de l'expérimentation hors des sentiers de la vulgate et de la tradition. C'est évidemment à cette classe très spéciale d'inventeurs que l'humanité doit ses trouvailles les plus précieuses. encore faut-il rappeler qu'ils n'existeraient pas sans le soubassement formidable et anonyme de l'askèsis commune et communautaire.

Il est patent qu'à notre époque les disciplines sont en crise. Les religions traditionnelles se survivent à elles-mêmes, n'inventent plus rien et se contentent pour l'essentiel de gérer les acquis. Les idéologies politiques se sont discréditées. Tous les sytèmes sont branlants. Cette déroute généralisée est compensée en partie par les initiatives privées, les bricolages éthico-spiritualistes, les tendances sectaires, les psychothérapies de toute farine, les innovations informelles, parfois généreuses, souvent infécondes. Se pose partout le problème de la valeur : travailler pour-quoi, pour quel avenir, avec quelles priorités, avec qui, et quel résultat? Que vaut un système économique triomphant qui multiplie les inégalités, déchire le tissu social, menace la vie planétaire? Une manière autre de penser et d'agir est-elle possible quand tous les systèmes alternatifs ont échoué? L'originalité de la crise tient au fait que les deux niveaux de la culture sont affectés d'incertitude, le premier parce qu'il menace la vie plus qu'il ne la garantit, le second parce qu'il échappe difficilement aux anciens modèles de perfectionnement tout en prétendant les renouveler.

Se mettre individuellement à la recherche de pratiques d'excellence est une excellente chose. Il serait souhaitable de s'y livrer au plus vite, chacun à sa manière, avec les moyens dont il dispose : ne pas gaspiller, ne pas polluer, se recentrer sur l'essentiel, rencontrer le proche et le lointain en commençant par le proche, créer des liens interpersonnels francs et libres, s'engager lorsqu'il le faut, créer et échanger. Mais j'ai bien conscience que le social n'est pas mécaniquement la somme ou la résultante des forces individuelles. La créativité efficace est collective, elle suppose l'émergence de groupes et d'associations d'un genre nouveau qui inventent de nouvelles valeurs, établissent leurs rapports et leur hiérachie. Cela prendra du temps. C'est bien pourquoi je pense qu'une révolution anthropologique est à la fois nécessaire et inévitable. Mais elle ne peut naître du crâne d'un penseur comme Athéna de la cuisse de Zeus. Le "nouveau sage" n'est pas un propagandiste échevelé, un réformateur en chambre, un illuminé traçant le programme des "cent jours", encore moins un intellectuel sartrien recyclé. Ce que peut un penseur, fort modestement, c'est accompagner par ses analyses un processus qui de tous côtés le dépasse, et dans ses origines et ses fins supposées.

 

 

 

 

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