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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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15 juin 2011

De la CLOTURE et du JARDIN : EPICURE

Clôture n'est pas fermeture. Un banque, de nuit, est fermée. Pour l'ouvrir il vous faudra une pince-monseigneur. La "maison close", à l'inverse, est ouverte à celui qui ouvre son porte-feuille. A la fermeture totale correspondrait l'ouverture totale. Mais les deux sont également inimaginables. La clôture serait le régime moyen, où les portes sont tantôt fermées, tantôt ouvertes. La clôture est d'abord le petit enclos qui délimite un jardin ou une propriété, plus qu'il ne les ferme. Humble muret de pierres, borne dévorée de ronces, vague palissade à demi pourrissante, un coup de pied suffit à les renverser, une chiquenaude. Dans le réel ils ne sont presque rien, ne prenant sens et valeur que de cet acte de délimitation qui les a posés dans le passé, comme une maigre sauvegarde contre le vol et l'effraction, acte propitiatoire, pose symbolique, frontière légale ou magique supposée éloigner le mal, comme ces fers à cheval plantés au front de l'étable.

La clôture est peu de chose, mais indispensable. Elle sépare un dedans et un dehors, elle ouvre à l'intimité en excluant l'externe, l'étranger. La première clôture est celle de la peau, la seconde celle de l'habit, la troisième celle de l'espace domestique. A quoi s'ajouteront les clôtures de l'affection, du couple, de la famille, de l'amitié. De proche en proche chacun s'efforce de disposer autour de lui, comme centre de la subjectivité, des cercles à la fois concentriques et centrifuges, consistants et mobiles. Habiter c'est d'abord "habere" : avoir, construire un habitus qui soit in-habitation, implantaion du soi dans un espace à soi. Mais si la maison est trop petite, et elle toujours trop petite, nous voilà à rêver de promenades dans les parcs, les jardins, les bocages, les vallées, tous ces lieux enclos et ouverts cependant, où l'on est tantôt seul, tantôt en compagnie, toujours distrait des occupations mondaines, toujours disponible au chant des oiseaux, au mouvement de la lumière dans le feuillage, à la sensation rafraîchissante, aux aspirations de l'âme. A chacun son "endroit", son île bienheureuse, son îlot de solitude, à l'abri de l'enclos, symbolique ou imaginaire.

Jardin, gard, grad, gorod, garten, court, tous ces mots, s'en souvient-on, dérivent du "chortos" grec, du "hortus" latin, dont nous  avons fait horticulture. Et "chortos "signifie primitivement l'enclos, lieu entouré d'arbres et de haies, enceinte. Toute la mythologie du Jardin, ici, prend sa racine. Familiarité, intériorité, réserve, porte ouverte et fermée, battante comme bat le coeur, alternance pulsative comme l'inspir et l'expir, ermitage du poète, asile de l'errant, jardin philosophe

Sappho dans son bocage, entre pommiers et oliviers, cultivait l'amour en Aphrodite. Lucrèce évoque la douce volupté

  "de pouvoir, entre amis, couchés dans l'herbe tendre,

  auprès d'une rivière, sous les branches d'un grand arbre,

  choyer allègrement son corps à peu de frais,

  surtout quand le temps sourit et que la saison

  parsème de mille fleurs les prairies verdissantes".

Le jardin est tout proche, comme est proche le corps à choyer, ou plutôt, c'est la proximité extrème, absolue, consubstantielle, le sentant-senti du corps dans la sensation, qui nous donne le réel, nous y plonge sans médiation. Le réel c'est ce que je sens, ici et maintenant.

En toute rigueur le jardin est l'extensivité du corps sensible, sa chair allégorique. Il n'est pas nécessaire de courir, d'aller chercher bien loin ce qui fait la trame sensible, affective et voluptueuse de nos vies. Deux conditions, qui n'en font qu'une : se détourner des "pré-occupations", des opinions creuses, de la chamaille du monde, des "affaires". Quand l'esprit est dépréoccupé, reserré sur le tangible, le sensible immédiat, dans l'instant même le plaisir est là, total. Nul besoin d'entreprendre quelque laborieuse quête d'infini : la déconstruction suffit, elle restaure instantanément la plénitude de nature. Ni paideia, ni métaphysique : la rupture suffit.

""Fuis toute espèce de culture, bienheureux, toutes voiles déployées!"

Nulle pensée n'est plus radicalement disjonctive que celle-ci : ou la douleur, ou le plaisir. Ou la vie, ou la mort. Vivants, nous n'avons aucun rapport à la mort ("la mort n'est rien pour nous"). Jouissant, nous n'avons aucun rapport à la douleur. Exclusion absolue :

"La suprême volupté est la délivrance de tout ce qui fait mal : partout où il y a volupté, tant qu'elle y est, il n' y a ni douleur ni tristesse". (Epicure, maxime III, traduction de l'abbé Charles Batteux)

 

 

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Je ferai volontiers un hardi parallèle avec Tchouang Tseu qui déclare "Vomis ton intelligence!" La radicalité épicurienne rejoint, par delà les continents, mais exactement à la même époque, le rejet taoïste de tous les artefacts culturels et "philosophiques".

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