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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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2 juin 2011

Entre GENIE et FOLIE : le PRESQUE SALVATEUR

Entre le génie et la folie se dresse un modeste "presque" qui fait toute la différence. Le génie est presque fou, mais de ce presque il tire les ressources de sa santé. Que ce presque se mette à vaciller, et c'est la catastrophe : Nerval pendu à un lampadaire de rue, Althusser assassinant sa femme, Nash discutant avec un camarade inexistant, Schumann se jetant dans le Rhin. On a de longtemps souligné la parenté entre les deux structures. Dans le génie se voit une sorte de monstruosité intellectuelle ou artistique, une hypertrophie de la sensibilité ou de l'intellection qui prédispose à l'invention, à la création, dans un écart vertigineux qui isole, qui fracture, qui déstabilise, ouvrant toutes grandes les vannes de l'inspiration, et de la démesure. Structure instable, ouverte, fendue, tourbillonnant autour d'un vortex inconnaissable et dangereux. De là le pire et le meilleur. Il est des génies du mal comme de la grandeur. La folie n'est jamais loin, question de chance, d'époque, de circonstances. 

Au départ, une "phusis" particulière, une disposition exceptionnelle au calcul, à la combinaison inventive, à l'intuition qui est déjà la marque secrète d'une vulnérabilité. Un excès de sensibilité, d'angoisse latente, un contre-investissement intellectuel massif, une dysharmonie fonctionnelle, force et faiblesse tout ensemble. Là dessus un "daïmon" exigeant, voire tyrannique. Une puissance désirante qui balaie les obstacles, qui porte à l'extrème les dispositions naturelles, les amplifie jusqu'au délire. Phusis et daïmon ensemble, unis dans un projet titanesque vont soulever le monde des conventions, le tordre, le soumettre au forceps pour engendrer du nouveau. Rien ne peut satisfaire cette frénésie de changement, ni la conquête du monde, ni la science, ni la beauté. Le génie brûle de transgresser toutes les barrières, de repousser toutes les limites, de vaincre l'impossible. C'est en quoi il est si proche du fou qui opère un déni du réel. Et puis vient la "Tuchè", la fortune ou le hasard, qui détermine le devenir, décide du succès ou de l'échec, achève le triomphe ou la chute. Un mince événement peut décider de tout, faire du génie une idole ou une épave.

L'Anangkè, c'est la nécessité aveugle, autre face de la Tuchè. De toute manière, c'est, ou le réel ou la fortune, qui décide du destin, en dernier ressort. L'impossible, repoussé, finit toujours par faire retour.

C'est le rapport à l'impossible qui fait la différence entre le génie et la folie : le fou est celui qui ne peut se rendre à l'évidence, qui continue de nourrir un enfant décédé, qui hallucine des absents, qui se déclare maître du monde alors qu'il croupit en asile. Le génie fait du presque un rempart salvateur. Il s'incline devant l'Anangkè : il se reconnaît mortel, imparfait, sexué, et, dans l'extra-ordinaire, il fait la part à l'ordinaire.

Lorsque Epicure écrit du sage qu'il "sera comme un dieu parmi les hommes" "hôs théos", il faut prendre garde à ce "comme" qui élève une digue contre la déraison. Aussi divin que l'on veuille le sage il reste un homme très ordinaire, et sa sagesse ne le protègera pas de la souffrance commune. Simplement, il dispose d'une pharmacopée plus efficace. Et d'une bonne dose d'autoglorification qui l'oblige. On peut tenter de réduite ce "comme" ou ce "presque" autant que l'on voudra, il demeure, et c'est là l'essentiel.

Dans le Taoïsme on trouve une problématique semblable. L'eau est presque le Tao, son image la plus sensible, mais le Tao ne saurait se saisir complètement dans un seul élément, s'il est patent qu'il est partout, en toutes choses, sans se confondre avec aucune. Le sage est presque identifié au mouvement universel, il est presque un immortel, presque au delà de la vie et de la mort : presque, mais après l'extase il retombe dans la tourbe du monde, et sait bien qu'il va mourir.

Le désir est peut-être, dans sa logique de fond, une tentative désespérée de nous libérer du presque, de gagner enfin les îles bienheureuses où coulent le lait et le miel, où le fauve assagi repose auprès de l'homme dans l'éternité de la béatitude, où l'homme et la femme réconcilient la différence et l'identité, où le Même et l'Autre se confondent, où la mort et la vie ne font qu'un, où la connaissance ne ferait plus souffrir, où le rève serait réalité. Le désir est peut-être, dans sa logique propre, pur déni du réel. Si le génie repousse les frontières, il sait aussi se démettre, faire retour dans la sphère commune. La folie, elle, est sans recours.

 

 

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PS : "comme", c'est une indication de méthode, non une identification. "Faire comme si" c'est tracer un chemin. Par exemple : faire comme si la sagesse pouvait être accessible, comme si la démocratie pouvait être réelle. C'est toujours mieux que de rien faire du tout, ou se croire arrivé. Les " sagesses" sont, chez les vrais amis du genre humain, de merveilleux  pieux mensonges qui nous libèrent du fatalisme, mais ne nous dispensent pas de l'illusion. Aussi ne faut-il les écouter que d'une oreille.

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Commentaires
A
Médecin scolaire dans une région favorisée, je me suis intéressée aux enfants précoces, futurs surdoués, et pour quelques-uns, futurs génies (QI supérieur à 150).<br /> <br /> Lorsque le QI est connu, que le surdoué connait son fonctionnement intellectuel, mais surtout affectif, le risque de devenir "fou" diminue , voire disparait.,<br /> <br /> J'ai écrit un manuscrit là-dessus, actuellement chez les éditeurs.<br /> <br /> Dr Agnès Beaufeuil
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A
Ivresse des passions<br /> A déraison<br /> Ivresse du mal de vivre<br /> Abîme de nos excistences<br /> <br /> Tabou de histériques armées<br /> Gestuelle des maniaques<br /> Brume des mélancolies<br /> Et pour toute relation<br /> La démentielle raison<br /> Tue au nom des Religions<br /> <br /> Armes aphrodisiaques<br /> Extrêmes répréssions<br /> Maniaques des punitions<br /> Sans justification<br /> <br /> Justifiables révoltes<br /> "Les protestations"<br /> <br /> Les sages bouvernent<br /> Sur quels critères ?<br /> Mais pas la Guerre !!!
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