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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 mai 2011

FIN de la QUETE : le saut qualitatif

Je distingue deux sortes de philosophie, celles de l'in-quiétude infinie, et celle de la quiétude assumée. On peut indéfiniment évoquer les causes et les raisons de la désespérance, multiplier les arguments en faveur d'un déterminisme de conduite, convoquer les sciences de la nature et de l'humain pour éterniser la dépendance et nier la liberté. La raison ne sera pas avare de démonstrations causales pour fustiger toute espérance de liberté en montrant, en tous lieux, les facteurs méconnus qui nous conditionnent. Biologie, physiologie, psychologie, sociologie rivaliseront de subtilité pour déceler dans nos corps et nos âmes de secrètes motivations, des appétits ignorés, réduisant le composé corps-esprit à une machine pulsionnelle sans conscience. Ces entreprises ont leur légétimité dans leur secteurs respectifs, et il n'est pas douteux qu'il faille, en un premier temps, ruiner les prétentions du narcisisme et de la fatuité humaine. Tant il est vrai que la connaissance est d'abord une entreprise de démystification et d'humiliation.

Epicure et Spinoza sont ici des modèles de probité : je me crois libre, d'ignorer des causes qui me déterminent. Il faut commencer par éclairer les motivations, et les motifs, débusquer l'illusion de souveraineté par un travail rationnel. Mais ce n'est pas une raison pour conclure au naufrage.

Si la conscience peut faire un tel travail réflexif et critique c'est qu'elle n'est pas sans pouvoir. C'est elle, que je sache, qui fait l'instruction, qui se constitue en tribunal, et qui rend les arrêts. Ce faisant, elle modifie les conditions initiales : une force connue est d'une nature distincte d'une force inconnue. La conscience est en elle même une force qui s'ajoute au champ de forces, en modifie l'équilibre, ajoutant de l'énergie ici, en retranchant là, faisant jouer dans un sens nouveau la somme des forces engagées. Si je me découvre enclin à la répétition des mêmes conduites inefficaces je peux décider de modifier, à conditions de bien connaître les forces en présence, ma perception des choses, et verser une énergie nouvelle en faveur d'un changement, même minime. Par exemple, me demander avant d'agir, si j'ai un vrai désir personnel d'agir. Cela ne fonde pas un supposé libre-arbitre, mais cela donne une vision plus complète des choses. La vision détermiste fait l'impasse sur l'action observante de la conscience, en l'excluant du champ d'observation. C'est absurde puisque c'est bien la conscience qui délimite le champ et calcule les forces. Sans la conscience pas de champ, donc pas d'observation. Le déterminisme théorique se fonde sur une forclusion de principe, utile pour étudier des choses inertes, - et encore, voir l'indéterminisme quantique - mais absurde si l'on prétend la généraliser.

La démarche scientifique donne l'illision d'une pure objectivité sans sujet. C'est l'envers d'une position de libre-arbitre sans objet.

Philosopher c'est faire un rupture épistémologique, faire le saut qualitatif fondateur. J'ai étudié les causes, éclairé les conditionnements, au moins je ne prends plus pour un dieu sans cause ni fondement : premier niveau de la liberté, purement négatif, déconstructif. Ici, un vertige me saisit : si "je" peux connaître c'est que je ne suis pas seulement un "connu", un objet de savoir, mais un sujet, donc une force constitutive : natura naturans, et non plus natura naturata. Indétermination, dans cette rupture de la chaïne causale, dans ce trou soudain apparu de la concaténation universelle. Un trou, qui se sait trou d'avoir des bords, non une indétermination sans contour. C'est peu de chose, mais ce n'est pas rien. Un "jeu" dans la structure, cela suffit pour jouer et faire jouer un quelque chose dans la serrure universelle. Un clinamen peut-être, une modeste mais efficiente déclinaison, et toute est changé. Les "foedera naturai" sont rompus même s'il est évident que le changement sera repris, réenglouti comme une force dans le jeu des forces, perdant au fil du temps son caractère de nouveauté. La structure tend de nature à se refermer, mais si elle a cédé un instant, c'est qu'elle peut céder encore. C'est cela le pari du philosopher : faire des trous, rompre la continuité, introduire des dis-ruptures, des écarts signifiants dans la chaîne in-signifiante des causes.

Fin de la quête. Non que le monde s'arrête, ni le désir, ni la souffrance. Mais c'est notre attitude qui change. Inutile de pourchasser encore, de crier au scandale, de pister des coupables imaginaires, d'accuser le destin, de dresser des échafauds. Le réel est le réel : détermination et indétermination. De le savoir, de le comprendre, devrait assécher la plainte, ruiner le discours victimal, dont la thèse déterministe est le symptôme. 

Le réel est la butée : sur lui le désir vient se briser, et renaître autre. Il n' y a plus rien à chercher, rien à trouver. Le désir est sans objet, aussi peut-il, de la récrimination et de la soif d'infini, se démettre. Que reste-t-il? Spinoza dira : conatus, persérer dans son être. Epicure dira : plaisir constitutif. Simplement vivre. Immanence et innocence.

C'est aussi une raison de plus pour aimer et cultiver le multiple, le divers, le chatoyant, l'incertain, "incertis locis, incertis temporibus", le non-assigné, l'aléatoire. Le coup de dés (alea) n'abolit pas le hasard, il lui donne chance supplémentaire d'affirmer la primauté du multiple.

A ceux qui soutiennent que "tout est joué à cinq ans" il faut enseigner le jeu. Tant il est vrai que le dieu est "un enfant qui joue aux dés, royauté d'un enfant."

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