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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 mai 2011

De l'INTERIORITE : le NOOS d'EMPEDOCLE

 



Il est bien difficile de rendre correctement le mot  « noos » ou « noûs », tel qu’il est utilisé par les auteurs anciens. Les traducteurs proposent tantôt pensée, esprit ou intelligence. Il s’agit manifestement de la faculté de connaître. Héraclite oppose le noos à la polymathie, le savoir-beaucoup, accessible à tous puisqu’il suffirait d’étudier les techniques et les sciences particulières, alors que la vraie connaissance dépasse tous les savoirs dans la contemplation du Tout. Le philosophe serait dès lors celui qui s’ouvre à la vérité totale, au réel tel qu’en lui-même. Aussi se met-il à l’écoute du Logos qui régit l’ordre contradictoire du Kosmos, bien au-delà des intérêts personnels et des opinions particulières. « Noein,» c’est connaître en vérité.

Dans le poème d’Empédocle le noos est d’abord la capacité de rassembler les données sensibles, de créer une synthèse à partir des sensations particulières offertes par les sens, tous les sens:

     « Va, vois par toute paume comme chaque chose apparaît,

     Ne te fie pas plus à tes yeux qu’à tout ce que tu entends,

     A l’ouïe sonore avant les gages de la langue ;

     D’aucun autre membre, pour étroit que soit le chemin de l’intelligence,

     N’écarte la foi, et connais, en suivant l’apparence ».(dèlon hekaston : chaque visible)


« Pistis » : la confiance, la foi. Il faut accepter avec confiance ce que les sens nous offrent, puisqu’aussi bien nous allons vers eux dans un mouvement d’ouverture et d’accueil, ce mouvement des paumes qui se tendent, et que se crée, dans la rencontre, l’accord du dedans et du dehors. Ce qui se donne est « dèlon », visible, manifeste, évident par soi, lumineux (le radical du mot est « briller »).

« Pour autant qu’il y ait ressource à connaître » est la traduction littérale de l’avant dernier vers. Le noos accueille, fait la synthèse. Aucune séparation, aucun hiatus entre la connaissance sensible et la pensée, aucun dualisme. Ce qui ne signifie pas que la connaissance ne soit que la somme des données sensibles. Mais elle ne saurait se passer du sensible.

          « Joignant les cimes l’une à l’autre

          Ne pas dire un seul chemin de mots ».

Noos c’est la connaissance dans la lumière de ce qui apparaît. Dans ce qui apparaît se donne à lire, pour peu qu’on écoute et observe, le tout (ta hola), l’ensemble harmonique des choses, dans la lutte des deux principes, l’Amour et la Haine. La vérité du monde n’est pas hors du monde : elle se donne à voir dans le sensible même. Chaud et froid, sec et humide, terre, eau, air et feu, mélanges, fusions et défusions, changements et stabilités relatives  -vie du monde - tantôt tourbillonnaire, tantôt pacifié, toujours actif et créatif. Et dans l’extase de la Totalité la vision béatifique du Sphaïros à l’orbe pur.

Dans son effort de synthèse le noos rassemble toutes les données éparses, crée une quasi unité contemplative qui est le monde, mais aussi l’intériorité contemplative du sage : n’est-il pas à sa manière un dieu, celui qui rassemble en soi toutes les qualités du dieu-cosmos, celui qui s’assimile par la connaissance à l’un-tout, qui réalise en soi la synthèse de l’un et du multiple, réunissant dans sa personne impersonnelle la présence évidente des éléments et des principes éternels?

    « Réjouissez-vous! Pour vous je suis un dieu immortel, sans rien de mortel ».

Ces paroles exorbitantes ne se peuvent comprendre que dans la perspective d’une identification absolue. Il n’a plus rien de mortel celui qui par la connaissance s’est hissé à l’intelligence des choses premières et dernières, dont l’esprit séjourne dans la demeure d’éternité. Et s’il va son chemin dans la cité des hommes c’est « couronné de fleurs et de bandelettes » comme il sied à un dieu, quand les hommes souffrants lui demandent remède, pour entendre la parole qui guérit. C’est que les hommes ordinaires confondent les plans, « pour vous je suis un dieu », et si Empédocle se déclare divin ce n’est pas dans le sens ordinaire. Est divin l’homme qui par la connaissance s’est nourri des principes incréés et éternels qui régissent et font le monde. C’est auprès d’eux, dans une intériorité secrète et incommunicable, qu’il vit et qu’il prospère. Mais s’il s’en détache par faiblesse ou démesure, il court à sa perte:

    « Mais si tu convoites les choses toujours nouvelles qu’on voit parmi les hommes

    Vite ils te quitteront au retour du temps, (ils, les principes)

    Avides de rejoindre leur race aimée.

    Sache que tous ont leur sens et leur part de pensée ».

Ethique noble : connaître, et se taire. L’intériorité, c’est-ce plan d’immanence où la pensée est indifféremment pensée du Tout et pensée du sage. Le dehors apparent, les phénomènes dans leur diversité chatoyante, leur ombre et leur lumière, communiquent librement avec le dedans, toute frontière abolie. Ils ne créent nul conflit. Dans cette riche intériorité s’élabore une alchimie de la transmutation, dont l’autre poème « Les purifications » donne la leçon paradoxale. Car au bout du chemin il reste bien vrai qu’il n’existe pas de recette de sagesse.

L’intériorité empédocléenne n’a rien de psychologique, elle ne concerne en rien un moi dont les Grecs anciens n’ont aucune notion, ni souci, pas plus qu’ils ne pensent la notion plus tardive d’un libre arbitre. L’ancienne philosophie, la seule authentique peut-être, est souci d’Alètheia, la vérité, et de rien d’autre.

 





 

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