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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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5 avril 2011

De la TRANSMIGRATION : EMPEDOCLE (10)

On peut s'étonner, s'irriter même. Ce thème de la transmigration est une pièce essentielle, incontournable de la vision d'Empédocle. Le moderne que je suis, estimer qu'il s'agit là d'une fantaisie dépassée, d'un fantasme irrationnel, incompatible avec l'image d'un Empédocle initiateur de la physique, de la physiologie et de l'embryologie, survivance regrettable d'un âge périmé de la connaissance. On peut aussi l'accueillir, au vue du caractère quasi universel du thème de la transmigration, en Orient comme en Occident, avant la victoire du rationalime scientifique. Se laisser porter par cette énigme, la considerer comme un risque pour la pensée, et pourquoi pas, une tentation séduisante.

Transmigration : migration de l'âme d'un corps à un autre, dans un cycle temporel, ou plusieurs, avec souvent, la perspective finale d'une cessation libératrice, par une réintégration du Tout, appelée délivrance. Dans ce thème s'entrecroisent plusieurs thèmes : la transmigration est d'abord un malheur, une séparation, une chute dans les affres du temps.

           "Le pays sans joie,

           Où Meurtre et Ressentiment, et les tribus d'autres féaux,

           Les maladies desséchantes, avec les pourritures et leurs écoulements,

           Errent dans l'obscurité, sur le pré de Malédiction".

Dans l'Age cosmique où nous sommes, après la dissémination des éléments sous l'action de la Haine, après la séparation première, le "crime ontologique", il est fatal que l'individuation soit un malheur, même si par ailleurs, dans la lutte présente d'Amour et de Haine, elle puisse se nourrir de la diversité, se laisser féconder par la connaissance : ambiguité, ambivalence de la condition présente, où le malheur doit se surmonter par la purgation et les "purs exercices", dans la contemplation du divin.

La transmigration trace un itinéraire : perte de l'unité, chute dans le temps, voyages à travers diverses conditions successives, occasions de rechute ou d'élévation, salut final dans la réintégration du tout. Mais tout cela, à quel niveau le comprendre? Est-ce une itération réelle ou symbolique?

Et puis la question décisive : qui transmigre? Est-ce un sujet individuel, une âme distincte du corps, un principe transpersonnel - ou le daïmon?

Dans Empédocle, pour autant que nous puissions en juger par les textes conservés, il ne fait aucun doute que c'est le daïmon, ou plutôt, les daïmons, voire les daïmones (au féminin). En effet : le corps est mortel et passager, mélange de mélanges, passage de fragments associés d'éléments, com-position éphémère. Ce n'est certes pas le corps qui transmigre. Ce n'est pas l'âme, si par âme il faut entendre feu et souffle, animation du composé corporel, qui se défait inélutablement. Mais il ne faut pas d'avantage entrendre âme comme principe spirituel individuel, de nature incorporelle, qui définirait l'individu comme personne morale, responsable de son destin post mortem. Empédocle n'est pas un Egyptien. Reste le daïmon, parce qu'il faut bien qu'un quelque chose, ou quelqu'un, transmigre. Comment entendre la nature du daïmon?

Il faut revenir un instant à la vision du Sphaïros comme tout unifié, mais menacé à sa périphérie par les forces de Neikos, la Haine. La Sphère est ébranlée, l'unité perdue, l'univers fragmenté. Le divin s'est divisé. Naissance du Multiple. Le divin fragmenté conserve de sa divinité dans chacun des fragments, qui s'en va, loin du centre, s'éparpiller dans le temps et l'espace, composant de ci de là des assemblages, tantôt viables, tantôt non, toujours éphémères. Le daïmon est un fragment divin s'incarnant tantôt ici, tantôt là, voyageant d'une composition corporelle à une autre. Il serait comme un acteur qui joue des personnages, s'habille de diverses façons, empruntant un costume corporel puis un autre, les rejetant, un à un, pour de nouvelles incarnations. Il ne faut pas penser le daïmon comme une individualité fixe, substantielle, une "âme" subjective, mais comme un fragment du dieu universel, séparé de son origine, et désireux d'y revenir. C'est ce désir qui détermine le cours des transmigrations, jusqu'à la réunification finale. S'il est un impératif éthique, pour l'homme conscient de la nature du tout, ce ne peut être que de prendre soin du daïmon qui est en lui à la manière d'un double divin, d'éviter ce qui le salit et retarde sa délivrance. C'est ainsi que l'on peut entendre la fin du poème.

           "Si tu convoites les choses toujours nouvelles qui sont parmi les hommes,

           Les misères innommbrables qui émoussent le souci,

           Vite, Ils te quiteront au retour du temps,

           Avides de rejoindre leur race aimée.

           Sache que tous ont leur sens et leur part de pensée".

Dans ce pasage on peut penser que le "Ils" désigne les éléments divins. L'homme empirique se proposera de se métamorphoser lui même par le soin qu'il prend des éméments qui le constituent (la pensée du diaphragme : artice précédent). En prenant soin des éléments (Empédocle médecin, thérapeute et réformateur) il favorise du même coup le daïmon qui est en lui. Il contribue à sa délivrance.

L'excellence d'un daïmon se reconnaît dès cette vie dans l'incarnation qu'il manifeste au dehors. La vraie hérarchie ne sera pas celle du rang social, conventionnel et discutable, mais celle du mérite :

            "A la fin ils deviennent devins, faiseurs d'hymnes, médecins,

            Princes, chez les hommes sur la terre ; et de là 

            Ils fleurissent dieux, les premiers par le rang".

L'énigme subsiste, en dépit de nos pérégrinations par le texte. A quel niveau de réalité faut-il penser tout ceci? Empédocle écrit une nouvelle mythologie, plus apte à faire sentir la vraie nature du divin, débarrassé des fabulations homériques. Il est et reste profondément Grec. Pour lui le divin est l'évidence indépassable. Mais le divin c'est la Phusis incréée, éternelle, incorruptible et bienheureuse. Comme pour Epicure, plus tard. Quel crédit accorder à la théorie du daïmon? Un mythe "moderne"? Peut-être le beau rêve d'un hoçmme épris de justice et de paix, qui savait que seuls les mythes ont la puissance de séduire et d'amender les mortels!

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Commentaires
J
Quelques points seraient à discuter, dont un sur le grec. Ces points techniques ne conviendraient pas selon moi à l'esprit du blog. Je souhaiterais un contact par mail. <br /> Un fidèle lecteur,<br /> Jean-Claude -- jecipic@hotmail.com, ou empedocles.acragas@gmail.com<br /> http://sites.google.com/site/empedoclesacragas/
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