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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 avril 2011

EMPEDOCLE (8) : le héros de la connaissance

Le poème d'Empédocle est un hymne à la connaissance libératrice.

La mythologie issue d'Homère et d'Hésiode, la croyance aux dieux anthropomorphes, les sacrifices d'animaux, les rites religieux, sont profondément subvertis, contestés et ruinés dans leur principe même. Empédocle crée une sorte de mythologie rationnelle susceptible de renverser l'ancienne, et d'ouvrir l'esprit hellénique au Logos universel. S'il évoque le nom des divinités il en modifie radicalement la teneur et la statut. Ce sont les quatre éléments qui sont divins, principes sempiternels à la source de tous les mélanges qui composent les corps. A quoi il faut adjoindre l'Amour (Philia, Philotès, Aphrodite ou Kypris) et Neikos, la Haine, personnifiés par convention poétique, mais essentiellemnt principes cosmiques d' association et de séparation. Mais le dieu par excellence c'est le Sphaïros éternel et bienheureux, objet de contemplation, et source de la félicité philosophique.

        "Car son corps n'est pas paré d'une tête d'homme,

        Deux rameaux ne jaillissent pas de son dos,

        Il n' a pas de pieds, pas de genoux rapides, pas de sexe velu,

        Il n'était rien qu'une pensée sainte et souveraine

        Courant à travers l'ordre du monde sur ses pensées rapides".

 Empédocle milite avec vigueur contre les sacrifices d'animaux, ces hécatombes de taureaux, de génisses et autres quadrupèdes qui ensanglantent les récits de l'Iliade pour apaiser le courroux des dieux. Le rapport au divin est totalement repensé. Ce sont à présent des fleurs, miel doux, encens et myrrhe que l'on offrira à la divinité, si toutefois on veut absolument célébrer sous forme sensible un principe qui échappe à toute figuration. Règle de non-violence, entre les hommes, et à l'égard des animaux. Empédocle célèbre l'unité de la vie dans la nature, avec piété et reconnaissance, annonçant un nouvel âge de concorde et de paix entre tous les vivants.

La connaissance éclairée dissipe les fumées de la superstition, repousse les monstres de Haine et de Discorde, prépare la venure d'une humanité nouvelle et régénérée, qui saura surmonter le crime ancien, gérer harmiquement le conflit, travailler à l'unité future. Vaste projet panhellénique, et pourquoi pas, universaliste. Empépocle est un réformateur politique, et un maître de sagesse.

Son grand poème sur la nature, mais ses "Purifications" tout aussi bien, sont un chant du monde, une épopée de la naissance, du développement et de la réunification, une tragédie de la séparation et du crime, et une philosophie du salut. Tragique, et dépassement du tragique : la sagesse est une anticipation lumineuse de la libération.

Ici la connaissance n'est pas un vain savoir. L'homme est invité à se servir de tous ses sens, sans en privilégier aucun, et à créer une synthèse des données empiriques par l'action unificatrice de la pensée. La pensée est une activité de tout le corps, indissociable de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du toucher et du goût. Savoir c'est d'abord sentir, puis penser (peser). Saveur, sapidité, sapience. Par chacun des sens l'humain pourra se lier à l'élément correspondant, se faire accueil de l'énergie qui se dégage de l'élément, dans une synthèse passive-active, actualisant en soi le rapport vital à l'univers. La connaissance est correspondance, conguence de l'intérieur et de l'extérieur, mélange des substances internes et externes. De la sorte le sujet cesse sa fatale séparation, abolit sa solitude, et se nourrit des principes universels. Il fait corps avec le tout, réalise en soi une quasi-totalité, à l'image du Sphaïros.

C'est en ce sens qu'il faut entendre les propos d'Empédocle sur la devenir-dieu de l'homme.

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Commentaires
P
Héra forme un couple avec Zeus lequel est bien le Feu; elle est "le principe donnant vie", comme l'exprime le fragment bien connu, il s'agit du principe de l'Eau : ce n'est donc ni l'Air ni la Terre. Le véritable couple élémental majeur est formé par les contraires que sont le Feu et l'Eau, jamais par le Feu et l'Air, ce dernier n'étant qu'un complément secondaire du Feu, comme la Terre est un complément secondaire de l'Eau. Discret et comme caché, Adonéus est l'Air -dont la couleur est le bleu, si souvent associé aux teintes sombres- et Nestis (dont l'étymologie évoque la Nephtys égyptienne) la Terre. Cordialement
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J
Oui, je suis d'accord avec Jean Bollack sur l'identification d'Héra avec l'air (éther). C'est ce que l'on appelle l'interprétation traditionnelle (Aétius dans l'Antiquité, puis Zeller, Diels, Bignone, Guthrie, Bollack dans les temps modernes). Vous avez parfaitement saisi que l'on a deux divinités d'en haut (Zeus, Héra) puis deux divinités d'en bas(Hadès, Nestis).<br /> Le Sphaîros est indéniablement la perfection divine pour Empédocle. C'est un état du monde au repos et dominé par l'Amour, entre deux périodes de mouvement (où la Haine intervient). Mais alors que représente la phrèn hierè avec ses pensées rapides ? Mon avis (non publié) : le soleil (qui tourne) et ses rayons qui inondent le ciel et la terre. Traduisons : l'organe de pensée de Zeus (feu) et une partie rayonnante de feu (donc de lui-même).<br /> Jean-Claude (jecipic@hotmail.com)
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G
Votre interprétation rejoint celle de Jean Bollack. Je ne suis pas assez versé dans la philologie pour en discuter moi-même. Mais il me plaît assez de penser le couple Zeus-Héra (feu et air) comme représentant les éléments légers et célestes par opposition à la terre et l'eau.<br /> Quant au mouvement je suppose qu'il faut l'interpréter comme Anangkè, force de translation et de changement universel. Mais alors le Sphaïros est-il autre chose qu'un modèle de perfection divine? Peut-on, dans ce cas, le penser comme un état du monde, entre des phases successives de lutte entre l'amour et la haine?
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J
Merci de votre attention.<br /> Sur Héra = terre, il est vrai que cette thèse est répandue, tout simplement parce que l'épithète pheresbios, porte-vie, est une épithète de la terre chez Hésiode. C'est aussi, ailleurs, une épithète de Dèô (= Déméter). Tout cela a du sens. Mais cela ne devrait pas impressionner un commentateur qui a saisi qu'il y a de la subversion chez Empédocle. Héra, au fragment 6, n'y est pas la terre, mais l'éther. C'est ma conviction appuyée de témoignages antiques. <br /> Et le Sphaîros ? Assurément, ce n'est pas le principe de mouvement. Il est au repos. Voilà pourquoi la phrèn hiérè ("la pensée sainte" selon votre traduction), précisément mobile à travers le kosmos ("courant à travers l'ordre du monde sur ses pensées rapides"), ne peut pas être mis directement en relation avec le Sphaîros, qui, lui, est au repos. Ce qui est au repos ne peut donc pas sans précaution être illustré par ce qui est en mouvement. J'insiste : ces questions sont des questions de détail par rapport à votre projet. Je souhaite que vous soyez lu et médité, et, qu'à travers cela, plus de personnes s'intéressent à Empédocle. <br /> Jean-Claude (jecipic@hotmail.com)
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G
Vous avez raison de relever les incertitudes de la dénomination d'Hera. Comme je ne veux pas engager une discussion savante sur le sujet j'ai préféré supprimer le passage, ce qui n'enlève rien au texte. Par contre je ne comprends pas votre remarque sur le Sphaïros : c'est l'image de la perfection, et nullement le principe du mouvement. Peut-être le sage doit-il être capable de se référer aux deux. Merci pour vos précieuses remarques, elles contribuent à préciser la lecture.
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