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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 mars 2011

Des MONSTRES : EMPEDOCLE (6)

Les éléments premiers, dans leurs hasardeuses combinaisons, produisent des formes  erratiques, selon le caprice d'une "naissance" dépourvue de finalité, sans ordre ni méthode, jetant des membres, des bouts de corps, des organes, des lambeaux de peau, des pieds, des mains, des pattes, des ailes, au hasard hors de la terre. Aucun plan d'ensemble ne préside à ces singulières excroissances, aucune finalité, ni interne ni externe, n'organise le surgissement de ces fragments de vie, dont la plupart sont invivables, alors que d'autres trouveront à se combiner harmoniquement, et à se reproduire. Il faut poser un principe de sélection aléatoire : ce qui se ressemble s'assemble, le reste dépérit dans un mileu hostile. Une quantité inimaginable de monstres ont dû errer quelque temps à la surface de la terre avant de dépérir sans descendance. C'est l'heureuse association, et de membres compatibles, et d'un organisme naissant dans un milieu favorable, qui assure la survie et la reproduction. L'histoire de la vie est une histoire tératologique : la monstruosité n'est pas une exception. C'est le vivable qui est l'exception. Un ordre relatif se construit à partir d'un désordre généralisé. Dans le cycle où nous sommes, où la Haine a disjoint l'unité, dispersé les éléments, éparpillé les semences de vie, il est fatal que des formes fragmentaires errent au hasard à la surface de la terre :

 

      "Comme les joues sans nuque en nombre germaient soudain ;

      Les bras, sans armes, ballaient, veufs d'épaules ;

      Les yeux rôdaient, solitaires, en quête des fronts".

 

et :

     "Monstres, roulant pieds et mains confondus".

et encore :

     "En nombre, ils croissaient, doubles de face et de torse,

     Races de boeufs à proue d'hommes. D'autres poussaient à rebours,

     Sortes d'hommes à tête de boeuf, mixtes, tenant ici du mâle

     Et là, ce sont des femmes aux membres d'ombre".

 

Eparpillement préalable, avant qu'Aphrodite ne vienne joindre les fragments compatibles, fournis par les éléments fondamentaux, le feu, l'air, l'eau, la terre :

    "Et Terre (Chtôn), de bonne grâce dans ses creuset aux larges flancs

    Sur les huit parts en reçut deux de l'éclat de Nestis (l'eau)

    Quatre d'Héphaistos (le feu). Elles devinrent os blancs

    Ajustés par les gommes d'Harmonie, la déesse".

Tous les corps sont des compositions d'éléments, eux-mêmes fragmentés en minuscules parties susceptibles de s'associer de toutes les manières selon le principe de convenance, de compatibilité, ou de "sym-pathie" pour rester dans un langage empédocléen. Aphrodite associe, la Haine sépare. Tout est mélange et mélange de mélanges, avant que de se désagréger sous l'action de la Haine. Mortalité de tous les corps. Et transformation perpétuelle.

Ardent admirateur d'Empédocle, Lucrèce reprend la thèse antifinaliste du grand Sicilien, énumère toutes sortes de monstruosités passées et à venir : hermaphrodites, êtres sans pieds ni mains, muets, sans bouche ou sans regard, aveugles, soudés, tous condamnés par leur inaptitude à vivre et à procréer.

Quelle leçon tirer de cet enseignement? La dite monstruosité ne se définit de la sorte que par rapport au principe de survivance reproductrice. Elle n' a aucune valeur normative. Elle est une production de la nature au même titre que toutes les autres, un errement, une excroissance, une naturation, une combinaison qui échoue. On peut penser que la puissance génératrice de la nature a jeté des milliards de telles combinaisons dans l'existence, au hasard, comme une semence jetée au vent, dont certaines, peu nombreuses, ont miraculeusement survécu. L'idée force, c'est que la nature n'a ni direction ni finalité, qu'elle agit sans programme préétabli, et que ce sont les seules conditions du mélange, interne et externe, qui feront la différence. La monstruosité ne s'oppose pas à la norme, elle en est en quelque sorte le préalable.

Et encore ceci : la Haine a d'abord fait éclater la Sphère, projetant les éléments dans la dissémination. L'Amour n'apparaît qu'ensuite, comme puissance de rectification, empêchant l'univers de sombrer dans le chaos.  L'harmonie est une victoire improbable et précaire sur la monstruosité.

 

 

 

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Commentaires
J
Soyez rassuré : je travaille AUSSI en dehors de toute référence et obédience. Le site empedocles.acragas n'est pas le site d'une institution, d'un organisme ou de quelque chose qui y ressemblerait. C'est le site d'un passionné, qui voudrait faciliter la diffusion des idées autour d'Empédocle. Rien de plus.<br /> J'attends avec impatience vos autres livraisons sur Empédocle.
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G
Cher Monsieur,je suis, je l'avoue, flatté, de l'intérêt que vous portez à ces études. Je n'ai pas décidé d'un nombre fixe d'articles, j'écris selon l'humeur, à la hussarde. Mais le personnage, et sa poésie étrange me fascinent, ainsi que les prolongements poétiques chez Hölderlin, Nietzsche ou Lucrèce. Je vois que vous avez un site universitaire sur le sujet. J'irai y voir, n'en doutez pas. Mais je travaille en dehors de toute référence et obédience, ce qui ne m'empêche nullement d'honorer les spécialistes. GK
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J
Belle lecture d'Empédocle. Combien Guy Karl a-t-il prévu de chapitres ? On ne le sait pas encore. Le texte finalisé méritera à coup sûr d'être cité sur le site de référence d'Empédocle : http://sites.google.com/site/empedoclesacragas/Home<br /> jecipic@gmail.com
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