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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 mars 2011

De l' ETRE - et de la NATURE

La pensée grecque nous a légué ce redoutable poison de l'Etre, mais aussi le remède qui sauve. L'Etre fut l'obsession de Parménide puis de Platon, qui voulaient tous deux fonder la connaissance sur un socle sûr et immuable, et qui en vinrent de la sorte à déprécier le monde sensible, jugé trop mouvant, trop insaisissable, affecté de tous les maux de la relativité et de la subjectivité. Il en résulta cette terrible dichotomie du sensible et de l'intelligible, cette séparation absurde de l'âme et du corps, cette dévitalisation du monde réel qui empoisonnera la pensée pendant des siècles. Mais d'autres Grecs nous ont donné une toute autre intuition, immensément féconde, celle du mouvement éternel (Héraclite), de l'immanence du Tout (Démocrite) et l'universelle corporéité des choses (Epicure). il est parfaitement possible de sentir et de penser  sans référence aucune à la catégorie de l'Etre - et de son pendant inévitable, le Non-Etre.

Déjà Gorgias avait pourfendu allègrement les métaphysiques de l'Etre dans ses apories polémiques :

        Rien n'est

        Si l'être existait on ne pourrait le connaître

        Même si on pouvait le connaître on ne pourrait en communiquer la connaissance.

Comprenons bien : il ne s'agit pas ici de soutenir une thèse nihiliste - comme feindront de le croire certains adversaires de mauvaise foi - mais de montrer que "nous n'avons aucune communication à l'être" (Montaigne), que la notion d'être est en elle même une impossibilité, une invention verbale, une inanité sonore.

Je ne vois rien, ni en moi, ni hors de moi, qui possède quelqu'être que ce soit ou qui relève de l'être. Comme Héraclite et Montaigne je ne vois en toute chose que branle et passage, et jusque dans les structures qui apparaissent les plus solides et durables. Rien ne résiste au temps, rien qui ne se modifie sans cesse, et qui, tout en existant, ne soit déjà à périr, à se transformer en autre chose : mouvement universel, impermanence.

J'ai ouï dire que la langue chinoise classique ignorait le verbe être. Les Chinois pensent la transformation, le processus, l'évolution. Aussi ne peut-on dire le Tao :

"Le Tao que l'on nomme n'est pas l'éternel Tao" (Lao-Tseu, 1)

On ne peut davantage soutenir que le Tao n'est pas. Il faut se résoudre à penser en dehors de l'être et du non-être, dans une toute autre catégorie, celle de l'interaction des processus, de la mobilité imprédictible, de la silencieuse coïncidence. Le sage ne possède ni le Tao ni sa connaissance, il se rend disponible aux subtiles évolutions du monde, épousant le mouvement, et l'infléchissant au bon moment : kaïros.

Pour ma part je déclare la notion d'être vide et funeste. Elle pollue la représentation en faisant miroiter la perfection d'un autre monde au delà de ce monde, en nourrissant l'idéalisaton et le discours religieux. Le choix fondamental est toujours entre la transcendance et l'immanence. 

La question est : comment penser le Tout? Le Tout c'est la Nature, non seulement la nature naturée, somme des "choses", ou plutôt des processus, "summa summarum", somme des sommes comme dit Lucrèce, l'extensivité absolue, - mais aussi la nature naturante, la nature comme énergie formative, création ininterrompue, inventivité, intensité, ou intensivité. Non voyons bien chaque jour que si nous pouvons prévoir certains mécanismes, nous sommes plus encore dépourvus de savoir, inaptes à prévoir les combinaisons inédites et novatrices, dans le cosmos, sur notre planète, et dans nos vies. De tous côtés l'imprévisible nous assiège ou nous enchante, à notre corps défendant..

Au sens strict il n'existe qu'un mode de connaissance, c'est la physique. Physique des univers, physiques des particules, des ondes et des forces, physique des corps, de tous les corps, physique organique et psychique. Spinoza voulait parler des affects comme s'il s'agissait de points, de droites et de figures, car "on ne doit poser qu'un seul et même principe d'explication". Demain la neurophysique du cerveau nous permettrra peut-être de mieux comprendre les états et les mouvements psychiques sans qu'il soit nécessaire de recourrir à quelque mythologie psychologique. Ce sera une révolution dans le champ du savoir. Mais cela, je le pense, ne modifiera pas notre position dans le monde, car si nos savoirs progressent la nature de son côté ne cesse de fournir, de détruire et de construire selon des modalités qui excèdent nos pouvoirs. "Natura naturans" disait Spinoza : la nature est naturation, au sens premier, naissance et développement ininterrompu.

       

         

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Commentaires
G
certes, vous avez raison, mais je ne parlais pas de psychologie, mais de l'être comme catégorie métaphysique.
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M
Merci pour votre article qui ressitue clairement, selon le caractère ou l'humeur du moment, l'horreur de l'insondable ou le merveilleux renouvellement de la nature.<br /> Dans notre société, on oppose plutôt l'AVOIR à l'ETRE - et l'ETRE peut y sembler plus glorieux - l'AVOIR n'étant que la fabrication d'une autre illusion, celle de l'immanence de l'ETRE : je suis ce que je possède.
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