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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 février 2011

La PRIERE du MATIN

 

Hegel disait que la lecture du journal était sa prière du matin. Il est vrai qu'il avait fréquenté, avec ses congénères Hölderlin et Schelling, le fameux Stift de Tübigen, école émérite de formation évangélique, et qu'il en restait forcément quelque chose. Si je devais prier le matin j'invoquerais plutôt Apollon et les Muses pour nourrir une inspiration défaillante. Il est vrai que les événements du monde, en cette période tout particulièrement, me troublent et me détournent de ma voie ordinaire. J'ai beau faire, mon esprit voyage vers ces régions désolées, et je l'avoue, les troubles qui s'y déroulent m'affectent plus que de raison.

Je me suis toujours beaucoup intéressé à la Chose Publique, jamais au niveau local, mais toujours au niveau national et international. J'estime que c'est là une dimension essentielle de l'existence, mais si confuse, si insaisissable que le vertige s'empare de mon esprit quand je me propose de penser la Chose et non de réagir affectivement. Dans ce domaine on rencontre immédiatement la passion, si bien que la réflexion sensée et la juste évaluation y sont presque toujours impossibles. Ce qui devrait interpeller le philosophe c'est le cours général du monde, plus que les affaires circonstancielles. Je ne pense pas possible, avec regret, qu'il soit bien sage de se détourner totalement, de se réfugier dans son jardin privé, et de "regarder tourner le monde "(Henri Miller). Car, quoi que l'on fasse, le sujet pensant est en relation avec le macrocosme politique et social. Pour autant j'estime qu'il n'est pas sérieux de se dire philosophe et de prendre une carte dans un parti, de militer pour une cause partisane, de se charger d'un ministère ou d'intervenir à hue et à dia dans le débat public. La pensée exige une certaine distanciation critique. Certains philosophes se sont engagés un peu vite dans des causes qu'ils croyaient justes et qui se sont révélées catastrophiques, compromettant pour longtemps leur crédibilité de philosophes (Heidegger). Sartre lui-même n'a pas toujours évité le ridicule, soutenant des causes plus que discutables. J'ai par contre toujours apprécié la position de Gilles Deleuze qui savait analyser les évolutions politiques sans se compromettre dans l'infâmie ou la justification de la servitude. Qui, mieux que lui, a su analyser la régression vers la société de surveillance, de sécuritarisme et de totalitarisme mou?

C'est un modèle : contribuer philosophiquement à l'évaluation des forces, y prendre position ferme et éclairée, sans verser dans la médiatisation échevelée et narcissique, comme c'est de mode aujourd'hui. Mais confessons, entre nous, que les quelques uns qui procédent de la sorte se sont de longtemps discrédités! Inutile de citer!

C'est une tâche délicate que de penser le présent. On est toujours trop tard ou trop tôt. Mais mieux vaut  être trop tôt. Le combat contre les monstres de l'obscurantisme est de tous les temps. Aujourd'hui il prend des formes nouvelles : antidarwinisme, antiévolutionnisme, négationisme, communautarisme, sectarisme, fondamentalisme, consumérisme, course au profit, arraisonnement de la planète, dictature monétariste, thanatocratie à tous les étages. Dans cette lutte éternelle il faut convoquer toutes les énergies de la raison, toutes les ressources de l'imagination créatrice, toutes les volontés pour sauvagarder ce qui reste de liberté dans ce monde, pour repousser les monstres, pour étendre la sphère des Lumières. Nous savons aujourd'hui que c'est plus difficile encore, mais aussi, comme dit Spinoza, "nous ne savons pas ce que peut un corps". Cela est vrai pour le corps dit individuel, mais ce l'est également pour le corps collectif.

Ma prière du matin : non pas la lecture des gazettes (ou plutôt, pas seulement!) mais aussi une Invocation à Vénus (Lucrèce) pour renvoyer les pulsions de mort dans les filets!

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Empédocle, plus actuel que jamais :

"Ne cesserez-vous pas, enfin, ce carnage au bruit sinistre

Ne voyez-vous pas que vous vous dévorez les uns les autres dans l'indifférence de vos esprits?" (Fragment 136)

 

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