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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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31 décembre 2010

Des PLAISIRS d' HABITUDE

Il est de bon ton de n'avoir que mépris pour l'habitude. Notre bon Jean Jacques, fort épris de paradoxes comme chacun sait, n'a-t-il pas claironné que la seule bonne habitude est de n'en pas avoir? Etrange affirmation qui revient à glorifier ce que précisément on prétend détester! Mais l'habitude règle, convenons-en, la part la plus importante de nos vies, et je ne vois personne qui puisse s'en passer! Elle a son confort, sa justification, ce serait-ce que de nous dispenser de penser! Les choses se font dans l'assurance, la régularité, la somnolence de l'instinct acquis, nous dispensant de revoir à l'infini les fondements de nos gestes, de nos comportements, de nos actions mêmes. Principe d'économie. Dès lors la pensée créatrice est libre de voler vers d'autres horizons, de vagabonder à l'envi, de folâtrer dans l'infini. Le vrai danger n'est pas dans l'habitude mais dans l'ennuitement de l'esprit.

L'étymologie, ici encore, donne à réfléchir. Dans "habitude" je vois habere : avoir. L'habitude serait une modalité de l'avoir. Outre qu'on "a" des habitudes, elles sont une sorte de maîtrise sur les mouvements du corps, sur l'espace proche, une conquête d'autrefois sur les risques du monde, une territorialisation, une acquisition précieuse, gagnée une fois pour toutes. Le vulgaire dit bien que celui qui a appris à conduire n' a plus jamais à le réapprendre. Ne nous précipitons pas dans la critique, l'habitude a du bon.

Ajoutons que l'habitude a ses charmes. Elle donne à nos journées cet air de reconnaissance, cette convivialité de la reconnaissance que nous éprouvons à revoir un ami cher, qui pouvait manquer et qui se présente à nous, comme il était hier, malgré le temps qui passe. Recognition reconnaissante, plaisir des retrouvailles. Il en va ainsi du café du matin, de la promenade à l'air vif qui chasse les miasmes de la nuit, de la première bouffée de pipe qui ouvre grand l'esprit à l'inspiration naissante. Et ce plaisir sans partage de la page blanche qui se couvre de caractères dans l'exaltation de l'esprit libre!

L'habitude est une modalité du plaisir. Il est ces plaisirs vifs, que procurent l'inattendu, le hasard aux mille tours, le hasard industrieux et sauvage, plaisir en mouvement comme diraient les Cyrénaïques. Sans parler des chemins creux de la blonde Aphrodite. Mais il est aussi ce plaisir-là, plaisir humble, assuré, facile, à la portée de tous, qui s'appelle habitude, plaisir statique s'il en est, dont la répétition même, si décriée par ailleurs, assure la pérennité d'un avoir impérissable.  

On me dit que le vieillard marié vit plus longtemps que le célibataire. C'est qu'il a ses repères, aussi futiles soient-ils. C'est que l'habitude soigne l'angoisse, en tous cas la repousse, la domestique à sa manière, et à l'esprit inquiet fournit le minimum de constance indispensable. Ajoutons que si l'homme neuf piaffe et trépigne, l'homme âgé préfère l'avoine aux courses d'aventure. Chaque âge a ses plaisirs.

Je suppose que l'habitude, quand elle n'est ni vicieuse ni totalitaire, produit sa dose naturelle d'endorphines, procurant au corps une sorte d'apaisement tranquille que des sportifs impénitents n'obtiennent qu'au terme de longs et périlleux efforts. Pourquoi courir mille stades quand la respiration régulière, le mouvement doux et souple, la conscience attentive vous donnent si vite la pleine satisfaction du corps et de l'âme? 

Je ne louerai pas l'habitude au delà d'une aune raisonnable. Elle a ses dangers et ses vices, ses obsessionnels, ses courtisans fatigués. Mais ne soyons pas ladres. Elle a aussi ses mérites, et à sa mesure contribue sagement au plaisir d'exister.

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