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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 décembre 2010

LEONTIA, COURTISANE et PHILOSOPHE

De Leontia, ou Leontion, nous savons peu de choses. En regroupant les diverses indications que j'ai pu glaner dans les écrits restants nous pouvons conjecturer que Leonta fut une courtisane athénienne fort prisée, et sans doute fortunée, qui rejoignit le Jardin d'Epicure, devint la concubine de Métrodore, le disciple préféré du maître. C'était une femme libre, comme l'étaient souvent à cette époque les courtisanes, à l'inverse des femmes mariées, cloîtrées dans le gynécée familial. Certaines rumeurs en font également la maîtresse d'Epicure lui-même, ce qui laisserait entendre que règnait, au Jardin, une atmosphère des plus libérales. Le Jardin était un lieu à la fois clos et ouvert, acceptant des gens de toute qualité, de toute origine, et des femmes, ce qui, à l'époque était une véritable révolution. On a voulu y voir une raison suffisante pour en faire un lieu de débauche, une sorte de lupanar pseudo-philosopohique. Il est plus vraisemblable que le Jardin fût un lieu retiré, aux moeurs libérales, adonné à l'amitié et à la recherche du Souverain Bien. Il est la condition même, et la réalisation de cette "ek-chorèsis (retrait social) qui est un des traits constants de l'épicurisme.

Leontia devint philosophe au contact de ses amis philosophes masculins. Nous avons un fragment de lettre où Epicure en personne se fait l'écho de l'admiration que lui portaient les membres de l'école : ""Par le Seigneur Sauveur (Apollon), ma chère petite Leontion, lorsque nous avons lu ta lettre, de quel tonnerre d'applaudissements elle nous a rempli!". De plus elle a écrit un traité (perdu) que mentionne Cicéron. Hétaïre et philosophe, vaste programme! Nous avons d'autres fragments, conservés la plupart pour alimenter la polémique et la calomnie, où Epicure s'adresse à d'autres femmes, supposées légères, ou vénale, comme Thémista, Mammarion, Hédeia, Erotion et Nikidion. (In Diogène Laerce).

Que dit Epicure de l'amour et de la sexualité? Dans son traité "Sur la Fin" (entendons la fin à poursuivre) il écrit ceci :" Pour moi, c'est assuré, je ne sais plus à quoi reconnaître le bien, si je retranche les plaisirs pris aux saveurs d'un côté, et ceux du sexe, des concerts et de la beauté de l'autre". On connaît plutôt les citations suivantes de Diogène Laerce :" lls pensent que le sage n'éprouvera pas la passion amoureuse". Et : "On n' a jamais tiré aucun profit de la relation amoureuse et l'on peut être satisfait de ne pas en subir de dommage". (DL 118).

Que faut-il entendre? C'est la relation qui est critiquée, pas la sexualité en tant que telle. Que Leontia soit une ancienne courtisane, qu'elle pratique l'amour dans le plaisir et la joie, fort bien. Ce qui serait un problème c'est qu'elle, ou un homme, s'attachent par des liens de dépendance. Ce que l'épicurisme  nous enseigne c'est une pratique heureuse de la sexualité sans liens amoureux, sans passion, sans inféodation. Le vrai plaisir est autarcie, indépendance, accord de soi à soi, jusque dans le contact physique, fût-il charnel, explicitement sexuel. Sexualité sans attaches. C'est cela, sans doute qui choqua, et qui peut choquer encore. Là dessus, Lucrèce, plus tard, sera d'une clarté éblouissante.

Ainsi donc il y eut des femmes philosophes dans l'Antiquité. Réjouissons-nous, camarades! Leontia ne fut pas la seule. Diogène le Chien eut souvent recours, sans la moindre gêne, aux courtisanes, qui lui manifestaient amitié et considération. On sait que l'école kunique engendra une certaine Hipparchia, femme libre et ostentatoire qui s'appliqua à provoquer la stupéfaction philosophique au coeur même de la ville d'Athènes. Epicure préférait le retrait, la discrétion : "Cache ta vie". Il estimait qu'il valait mieux édifier une contre-société des sages plutôt que d'ameuter un vaste public qui n'était pas digne de la philosophie.

 

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Commentaires
N
Oui je partage cette réflexion, c'est pourquoi je vais au coeur des tumultes pour mieux entrevoir cette abstinence atypique pour la période. Je vous recontacterai bien. Merci
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G
Merci pour cette donnée historique : elle donne plus de chair à notre perception de l'épicurisme. Quant au "cache ta vie" elle est prudence liée aux événements politiques (voir le procès de Socrate), mais plus profondément je crois qu'elle exprime un choix éthique fondamental : le retrait s'impose, loin des foules, pour mener une existence adonnée a à la sagesse et à l'amitié. Epicure recommande de s'éloigner des affaires, de fuir le tumulte, de pratiquer la contemplation de la nature, et cela ne se peut dans le tumulte des villes. Ek-chorèsis : retrait hors du choeur.
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N
Salut! Très ravi de vous lire. Vos textes expriment une clairvoyance proche des obscurités épicuriennes. Léontia n'est pas simplement une courtisane, ou une philosophe qui donnait des cours au même titre que les disciples hommes. Sa particularité, c'est qu'elle est aussi le Bouclier du Jardin, car elle l'amie intime de la courtisane préférée du roi Démétrios Poliorcète. Et à ce titre, elle occupait une position stratégique dans le jardin: la coqueluche d'Epicure, et de tous. Le Jardin n'était pas vu d'un bon oeil par Démétrios, et c'est Lamia qui le persuadait de ne pas s'inquièter , car les amis du jardins sont inoffensifs, et ne se soucient pas des affaires de la cité.<br /> Bonne continuation. Je prépare une thèse sur Epicure, et j'aurais besoin de ton avis sur certains aspects: son vivre caché/ ou "cache ta vie", pourquoi cette attitude en cette période? Est-ce légitime? Merci
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P
Qu'il est agréable de venir ici !
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