LEONTIA, COURTISANE et PHILOSOPHE
De Leontia, ou Leontion, nous savons peu de choses. En regroupant les diverses indications que j'ai pu glaner dans les écrits restants nous pouvons conjecturer que Leonta fut une courtisane athénienne fort prisée, et sans doute fortunée, qui rejoignit le Jardin d'Epicure, devint la concubine de Métrodore, le disciple préféré du maître. C'était une femme libre, comme l'étaient souvent à cette époque les courtisanes, à l'inverse des femmes mariées, cloîtrées dans le gynécée familial. Certaines rumeurs en font également la maîtresse d'Epicure lui-même, ce qui laisserait entendre que règnait, au Jardin, une atmosphère des plus libérales. Le Jardin était un lieu à la fois clos et ouvert, acceptant des gens de toute qualité, de toute origine, et des femmes, ce qui, à l'époque était une véritable révolution. On a voulu y voir une raison suffisante pour en faire un lieu de débauche, une sorte de lupanar pseudo-philosopohique. Il est plus vraisemblable que le Jardin fût un lieu retiré, aux moeurs libérales, adonné à l'amitié et à la recherche du Souverain Bien. Il est la condition même, et la réalisation de cette "ek-chorèsis (retrait social) qui est un des traits constants de l'épicurisme.
Leontia devint philosophe au contact de ses amis philosophes masculins. Nous avons un fragment de lettre où Epicure en personne se fait l'écho de l'admiration que lui portaient les membres de l'école : ""Par le Seigneur Sauveur (Apollon), ma chère petite Leontion, lorsque nous avons lu ta lettre, de quel tonnerre d'applaudissements elle nous a rempli!". De plus elle a écrit un traité (perdu) que mentionne Cicéron. Hétaïre et philosophe, vaste programme! Nous avons d'autres fragments, conservés la plupart pour alimenter la polémique et la calomnie, où Epicure s'adresse à d'autres femmes, supposées légères, ou vénale, comme Thémista, Mammarion, Hédeia, Erotion et Nikidion. (In Diogène Laerce).
Que dit Epicure de l'amour et de la sexualité? Dans son traité "Sur la Fin" (entendons la fin à poursuivre) il écrit ceci :" Pour moi, c'est assuré, je ne sais plus à quoi reconnaître le bien, si je retranche les plaisirs pris aux saveurs d'un côté, et ceux du sexe, des concerts et de la beauté de l'autre". On connaît plutôt les citations suivantes de Diogène Laerce :" lls pensent que le sage n'éprouvera pas la passion amoureuse". Et : "On n' a jamais tiré aucun profit de la relation amoureuse et l'on peut être satisfait de ne pas en subir de dommage". (DL 118).
Que faut-il entendre? C'est la relation qui est critiquée, pas la sexualité en tant que telle. Que Leontia soit une ancienne courtisane, qu'elle pratique l'amour dans le plaisir et la joie, fort bien. Ce qui serait un problème c'est qu'elle, ou un homme, s'attachent par des liens de dépendance. Ce que l'épicurisme nous enseigne c'est une pratique heureuse de la sexualité sans liens amoureux, sans passion, sans inféodation. Le vrai plaisir est autarcie, indépendance, accord de soi à soi, jusque dans le contact physique, fût-il charnel, explicitement sexuel. Sexualité sans attaches. C'est cela, sans doute qui choqua, et qui peut choquer encore. Là dessus, Lucrèce, plus tard, sera d'une clarté éblouissante.
Ainsi donc il y eut des femmes philosophes dans l'Antiquité. Réjouissons-nous, camarades! Leontia ne fut pas la seule. Diogène le Chien eut souvent recours, sans la moindre gêne, aux courtisanes, qui lui manifestaient amitié et considération. On sait que l'école kunique engendra une certaine Hipparchia, femme libre et ostentatoire qui s'appliqua à provoquer la stupéfaction philosophique au coeur même de la ville d'Athènes. Epicure préférait le retrait, la discrétion : "Cache ta vie". Il estimait qu'il valait mieux édifier une contre-société des sages plutôt que d'ameuter un vaste public qui n'était pas digne de la philosophie.