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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 octobre 2010

"Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels"

"Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels" : Spinoza. Cette proposition peut laisser songeur. Je voudrais l'examiner ici de plus près, dans mon propre style. Il y a, ici, quelque chose d'essentiel qui demande questionnement attentif et sans complaisance. J'allais écrire : il y va de notre existence même.

Remarquons d'abord que Spinoza ne parle pas de l'immortalité mais de l'éternité. Certaines religions promettent l'immortalité de l'âme dans une autre vie. Spinoza ne dit pas cela. L'immortalité est une durée indéfinie qui annule la mort, la dénie, affirmant un régime de continuation de l'âme après le décès du corps physique, sous des formes inconcevables à notre esprit. Quelle est cette âme qui serait distincte du corps, qui jouirait d'un statut particulier, étranger à toute réalité sensible, et qui rejoindrait un royaume inconcevable dans un temps et pour un temps également inconcevables? L'âme, le dieu des religions, le royaume divin, autant de fantaisies qui satisfont le désir, dans une sorte de projection délirante, contre toutes les données physiques et rationnelles de la nature.

L'éternité est le régime de la Substance infinie, une, unique, incréée, natura naturans, qui se déplie et se déploie dans d'innombrables attributs infinis et d'innombrables modes finis : natura naturata. La nature naturée exprime la créativité infinie du Dieu-Nature selon les lois éternelles de la nature. Tout mode fini, cet arbre, cette planète, cet animal, cet homme ou cette femme sont issus de la seule Substance, se développent et disparaissent : naissance et mort, mortalité irréfutable. En tant que corps-esprit l'homme n'échappe en rien à la loi universelle : il naît, il meurt. Nulle immortalité. Ce fait est incontestable, et ne souffre nulle exception.

Si l'homme est résolument mortel comment pourrait-il "sentir et expérimenter qu'il est éternel"?  Contradiction? Fantaisie métaphysique? Délire verbal? Il faut penser ENSEMBLE la nécessaire mortalité de l'homme et son éternité. Comment est-ce possible?

Sentir l'éternité, passe encore, mais l'expérimenter! Que signifie cela?

L'éternité c'est aussi bien ce qui était avant que ce qui sera après, donc avant ma naissance et après ma mort. Je ne puis affirmer sans absurdité que j'étais avant de naître et que je serai après ma mort. Mode fini. Mais si moi, en tant que sujet fini, je suis enfermé dans les limites infrangibles de ma finitude, il n'en va évidemment pas ainsi de la substance infinie, qui était, qui est, et qui sera : éternelle. Si je parviens à comprendre que ce moi fini n'est pas source de soi-même, cause de soi, et qu'une longue chaïne de vie seule l'a rendu possible, et que la chaîne de vie continue de toute manière à travers moi pour l'avenir, je puis  donc, par la pensée, me résituer dans une totalité englobante sans début et sans fin. Je renonce à être le centre absolu, source et cause de soi, pour me concevoir précisément comme mode fini de la substance infinie. Décentrement et recentrement. Ouverture à l'infini.

Je me sens éternel dans le fleuve de vie qui me porte, dans la vaste nature qui m'a fait naître, me nourrit, me porte et m'emporte. Goutte dans l'océan, nuage dans le ciel, parcelle de vie dans la vie universelle. Je me sens molécule vivante dans la vie universelle et éternelle, j'éprouve ma participation, mon inclusion dans une série infinie de processus interconnectés, sans pouvoir en aucune manière prétendre à l'isolation, à l'autocréation et à l'autonomie absolues. Par mon corps je suis mode fini de l'Attribut Etendue, et par mon esprit je suis mode fini de l'Attribut Pensée. Me hissant par l'intellection à l"amour intellect de dieu" je réalise ma véritable identité  : corps-esprit dans l'infinité de la nature.

Mais sentir, expérimenter? Ici, je ne suis pas sûr de rendre compte de la pensée propre de Spinoza, qui d'ailleurs ne s'étend guère sur les modalités de ce "sentir et expérimenter". J'en suis réduit à inventer mes propres chemins. Sentir, c'est pour moi le souffle du vent dans mes cheveux, les parfums, les embruns de l'océan, les tumultes de l'orage, la puissante écrasante des montagnes. C'est aussi la permanence troublante de mes pulsions, appétits, besoins, impulsions et passions. C'est l'expérience de la durée qui me traverse, du temps qui me pousse, me mutile et me reconstruit. C'est la présence irréfutable d'un présent qui ne manque jamais, d'un monde tout autour qui ne manque jamais, d'un réel qui ne manque jamais. Non, je ne suis pas seul, le monde me porte de toutes parts, me traverse, me transforme, me régénère! Et quand je me livre innocemment à mes méditations, les idées, les images, les symboles, venus de je ne sais où, allant je ne sais où, à la fois miens et parfaitement étrangers, sont l'expression d'une puissance immanente, inconcevable, fleuve héraclitéen, immense marée de la pensée universelle, coulée sans origine et sans terme qui me fait connaître le "temps immense"(Jung), celui des millénaires passés et des millénaires à venir! Dans ces moments de pure contemplation je puis comprendre cette intuition de Bouddha déclarant avoir sondé ses vies antérieures! Immensité des temps cosmiques, vanité et grandeur des temps humains dans la coulée infinie du Grand Fleuve!

En de tels instants il devient indifférent de vivre ou de mourir. Terminons sur ce mot de Thalès : "Il disait que la mort en diffère en rien de la vie. "Et toi donc, dit quelqu'un, pourquoi ne meurs tu pas? -"Parce que cela ne fait aucune différence" dit-il.( Diogène Laerce, Thalès, I, 35)

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Commentaires
P
-Êtes-vous certain de pouvoir affirmer que notre commencement et notre finitude serait des vérités immanentes inscrites dans le marbre ?<br /> <br /> Si l'on se réfère à nos raisonnements nécessairement limités d'humains pour qui les mots commencement et fin ont un sens bien précis la réponse est évidente !<br /> <br /> <br /> <br /> L'œuvre grandiose de SPINOZA, "le prince des philosophes" permet précisément de transcender le concept de notre être et sa finitude inéluctable, pour une réflexion plus large à propos de la grande question existentielle : "Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien?"
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X
A vrai dire, ce qui est important c'est ce que nous sentons à titre personnel. Si Spinoza sentait qu'il était éternel c'était très bien pour lui mais ça ne vaut pas moins que quelqu'un qui sent qu'il est parfaitement mortel. Ce sont, pour le dire simplement, deux chemins différents.
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P
Le célèbre "Cogito ergo sum" exprime la première certitude qui résiste à un doute méthodique, marquant notre affect pour nous faire sentir et expérimenter notre éternité en tant que simples cirons faisant partie intégrante d'un univers par essence infini.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est bien notre finitude que nous devons transcender sachant que nous nous réveillerons tous un jour du rêve de cette vie étrangement si précieuse et mystérieuse.......
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N
Merci Oscar...je suis soulagée..:-)<br /> <br /> Oh non, cela ne nous empéche heureusement pas de<br /> nous poser les questions qui nous taraudent.... Cela nous permet peut être même de ne pas nous enfermer dans les "pathos de conscience" que sont peut être bien tous les systémes de pensée( et cela quels qu'ils soient y compris ceux qui "font lois" en orient.)<br /> Je crois que les "références"( dans les deux sens du termes) nous entrainent toujours et par définition hors de " nous" quelle que soit la teneur de ce "nous" ( personnel, ou a- personnel)<br /> <br /> <br /> Je n'ai aucune "appartenance", ni n'"adhere"( réalise t'on bien le sens profond de ces mots???) a aucun courant de pensée (même si je m'intérrésse a tous et si je "résone"- sur différentes harmoniques- a plusieurs) car je ne crois pas aux réponses indiscutables et definitives.<br /> Et si il y en avait une qui paraisse telles, je m'en méfierais comme de la peste et je discuterais de toute façon le point de vue relatif dans lequel elles se révèlent "indiscutable" ou "définitives"..:-)<br /> <br /> Je pense ( par expérience) que l'amnésie totale fait disparaitre uniquement cet aspect là de l'identité. Celui des acquis de toutes sortes ,de leur mémoire consciente et de leur empreinte inconsciente et de l'image de soi qui c'est construite dessus, justement.<br /> C'est un retour a l'inné. On EST, sans savoir "qui" on est, libre de tout son passé, de son histoire, de ses crédos. ( on ne garde que ce que le corps a intégré et qui est devenu reflexe: par exemple conduire, peindre ou jouer d'un instrument..)<br /> <br /> Et en cela elle nous rend a une sorte de "virginité",a un "sentiment d'être" diaphane, ethéré . <br /> Et lorsque la mémoire revient sur la pure perception d'être, avec toute l'histoire de cette "identité", c'est comme étre a nouveau enssérré et re"conditionné" soudain dans une combinaison de ressentis et de crédos, de vieux shémas distordus et bien trop étroits .( ressenti tres personnel j'en conviens :-)!) <br /> (Lors d'une EMI, Le phénoméne de retrécissemnt est à un premier stade le même lorsque la conscience d'être totalement a-personnelle redevient "sujet" et entre a nouveau dans les limites perceptives et matérielles du corps)<br /> <br /> Bien sur, cette réponse est "personnelle", puisque le fruit de ce que j'ai vécu...<br /> Mais vous me demandez ce que j'en "pense", alors...:-)<br /> <br /> Bon W End a vous, Oscar
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O
Chère Nad,<br /> <br /> Beaucoup plus "littéraire" de formation que "philosophe" même amateur (gloups!), je n'y connais sûrement pas plus que vous en philosophie hormis dans les grandes lignes et de façon très schématique, et sans nul doute inexacte sur bien des points, aussi bien pour le domaine occidental que concernant les philosophies orientales tel le bouddhisme par exemple.<br /> <br /> Cela nous empêche-t-il de penser et de nous poser les questions qui taraudent nos âmes (belles ou non!), même si, pas plus que les philosophes d'ailleurs, nous ne trouvons le plus souvent des réponses indiscutables?<br /> Donc, si vous voulez m'en croire, ne vous souciez pas trop de cela!<br /> <br /> Concernant l'identité personnelle: et si c'était la somme de tous nos souvenirs qui la constituait, plus que le donné organique (génétique etc.) par exemple?<br /> Une amnésie totale ne la ferait-elle pas disparaître? Qu'en pensez-vous?<br /> <br /> Cordialement et bon week-end!
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