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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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3 septembre 2010

PENSEE de la LIMITE : EPICURE THERAPEUTE

Le jouisseur, le débauché, l'ambitieux, l'avare - en somme tout homme qui est ravagé par le désir de l'illimité est nécessairement malheureux, s'il est évident qu'il compte toujours ce qui lui manque - et qui fuit comme de l'eau dans un vase percé - plus que ce qu'il possède, et dont il puisse naturellemnt jouir. Le désir est spontanément infini, se déplaçant sans fin d'un objet à l'autre, d'une illusion à l'autre. Que chacun s'examine avec lucidité, il verra très vite qu'il court sans cesse, halluciné par des simulacres de jouissance infinie, de pouvoir sans bornes, de richesses inépuisables, alors même que chaque instant le ramène à sa condition finie. Cette illimitation du désir est sans doute encouragée par un refus tenace de prendre la mesure de notre essentielle mortalité: "Nous sommes nés une fois, il n'est pas possible de naître deux fois, et il faut n'être plus pour l'éternité : toi, pourtant, qui n'es pas de demain, tu ajournes la joie ; la vie périt par le délai, et chacun de nous meurt affairé". (Epicure , sentence vaticane, 14).

C'est bien à cette fuite, dans tous les sens du terme, qu'il faut remédier.  C'est ici que l'analyse des faits de nature est indispensable, seule apte à régler le désordre ordinaire de l'âme. Physio-logie : "Le plaisir dans la chair ne peut s'accroître une fois supprimée la douleur du besoin, mais il est seulement varié". Le corps a ses lois de nature, qu'il faut étudier avec le plus grand soin. Or une illusion tenace nous fait croire que le corps veut et peut jouir indéfiniment, qu'il peut étendre à l'infini  ses capacités de volupté. C'est ce qui se produit dans l'exaltation du désir passionnel. Mais sitôt le besoin satisfait - nourriture, boisson, pulsion sexuelle - la corps pose souverainement sa limite fonctionnelle, et il faut être naîf, ou pervers, pour imaginer qu'on peut encore repousser ses limites. Ce qui produit en général plus de dégoût que de plaisir. On songe à ces dérèglès qui se font vomir pour pouvoir s'empiffrer encore! C'est bien l'esprit qui provoque le désordre et la confusion, non le corps, dont la voix est simple et claire, et qu'il suffit d'écouter.

Une tradition platonico-chrétienne s'obstine à charger le corps de toutes les infamies, goulu, insatiable, concupiscent, vulgaire, pourceau fornicateur, chaos physique, charogne putride, bouche d'égoût, cloaque, et que sais-je encore, alors que c'est l'esprit qui est malade, dérèglé, aveugle, avide, tourmenté d'une incurable insatisfaction. Ici l'épicurisme rétablit la vérité du corps : c'est par le corps que nous comprendrions les lois de nature si l'équilibre naturel de notre corps n'était gangréné par les passions. Occupez-vous de votre ventre, au lieu de pourchasser les fantômes!

La grande leçon d'Epicure c'est que la guérison est possible, et le bonheur accessible dès cette vie, dès cet instant : conversion radicale. C'est ici et maintenant qu'il faut rétablir le juste équilibre : "tu ajournes la joie ; la vie périt dans le délai, et chacun de nous meurt affairé". Re-tournement éthique. Nécessité, et bienfait inestimable de la connaissance : "La limite du plaisir de la pensée naît du fait de se rendre compte de ces choses mêmes, et de celles du même genre, qui sont cause pour la pensée des craintes les plus grandes". Le plus grand trouble, la "taraxie", c'est le fruit d'une fausse conception de la nature : crainte des châtiments infernaux, espoir insensé d'une autre vie, illimitation des désirs, crainte des dieux, de la mort, imaginaire débridé, opinions creuses. La médecine psychiatrique trouve ici ses lettres de noblesse, les chances d'un diagnostic rationnel, et des remèdes adaptés.

"Le temps infini contient un plaisir égal à celui du temps limité, si de ce plaisir on mesure les limites par la raison". (SV, 19)

La pensée peut être folle, la pensée peut être libératrice et thérapeutique. C'est bien une pédagogie, une hygiène, une médecine de la pensée que Epicure fonde, pour lui-même, et pour tous ceux qui veulent s'inspirer de son enseignement. Pensée révolutionnaire, à jamais, et pourtant si admirablment classique : l'intelligence, la lucidité, l'acceuil du réel, et des limites constitutives de la nature s'inscrivent merveilleusement dans un hellénisme rénové, ennemi de l'hybris, de la folie des conquêtes, de la confusion et de la violence.

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