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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 juillet 2010

Et le MIROIR se BRISA : A-PHILOSOPHIE

Voici  l'image : je regarde par la fenêtre, des feuilles vertes ourlées de gris clair, du bleu céruléen entre les feuilles, des troncs bruns tapissés de vert de gris, des pans de maison, des fenêtres, des carreaux, des trottoirs, et puis le bruit sourd de la ville que j'identifie immédiatement comme bourdonnement de voitures, un  tableau, en somme, familier, plaisant, méridional, chaleureux : c'est le monde qui est mien, comme une sorte d'excroissance colorée, de prolongement physique de mon être propre. C'est ce qu'on appelle la perception, et qui paraît si évidente, si familière que l'on hésite même à s'y arrêter, à la soumettre à l'interrogation, tant elle va de soi. Je vois un tableau du monde, il forme un ensemble harmonieux, complet, sans faille apparente, organisé comme un organisme, plein, vivant, et je m'y reconnais d'emblée, il me renvoie à moi-même, il m'exprime, selon une loi de correspondance, de convenance, de réciprocité immédiates. Quoi de plus simple pour refouler l'angoisse? Il suffit d'ouvrir les yeux, le monde est là, et je me crois disposé vers lui, à lui, comme dans une amitié incontestable. Pour un peu je pourrais dire, en un élan de sympathie spontanée : ce monde est à moi, ce monde est mien, je suis ce monde.

Ce que je ne vois pas dans cette image, c'est le sujet qui regarde. En un mouvement immédiat de mon imagination conceptuelle je décide que le sujet est de ce côté-ci, quelque part dans la rétine, ou en deça de la rétine, dans le cerveau, encore que je ne puisse localiser avec précision ce centre d'origine, cette source de la vision et de l'audition, mais je ne me fais aucun souci, je sais que "je" suis là, à l'orée de mon acte perceptif, bien éveillé, bien conscient, hyper-conscient même par l'effort que j'entreprends de décrire ma perception, et sa source. Je suis là, le monde est là, je suis à l'intérieur, le monde est à l'extérieur, la correspondance se fait d'un mouvement sûr, et c'est une fine adéquation qui relie sans heurt ni doute les deux éléments que ma laborieuse analyse a distingué pour la clarté de l'exposition. Certains disaient : "Je suis la source absolue", je suis ce principe à partir duquel  se donne le monde, dans la lumière de la conscience.

Mais cette conception est déjà plus difficile à tenir lorsque le monde se révèle hostile. Dès lors il se colore de négatif, il modifie du tout au tout mon aperception, il déchire l'heureuse complicité. Le voilà tout autre, étrange et étranger, menaçant, perçant : sous le coup d'une violente effraction c'est moi-même, c'est mon unité vitale qui se déchire, et à l'extrême de l'effroi, je me délite, je me décompose. La douleur a ce redoutable pouvoir de faire sauter nos représentations, comme si, sous le coup, le monde familier, et moi-même, nous sombrions dans le chaos. Quelque chose a surgi, imprévisible, hors-image, hors-concept, qui défait toutes nos prétentions de maîtrise.

Le miroir s'est brisé. Car d'une certaine manière on peut estimer que notre heureuse image de tout à l'heure était un reflet de nous-même, une perception spéculaire qui nous confortait dans l'heureuse illusion d'une totalité infrangible et sacrée. La douleur est un meurtre narcissique, une effaction de l'image du corps, et de l'image du moi, et de l'image du monde. A la suite de certaines expériences décisives le monde ne sera plus jamais réunifié, ni en moi, ni hors de moi. L'éclatement deviendra le régime inattendu mais constant d'une nouvelle perception, où l'invisible fracture, toujours déplacée, hantera à jamais la conscience, et fendra, sobrement mais décisivement, le tableau du monde.

Comment faire sentir cette étrangeté? Le monde apparaîtra toujours comme il a été : arbres et nuages, maisons et rues de la ville, tout cela est, et reste comme devant, évident, ordonné, reconnaissable, mais c'est le sentiment de familiarité qui s'est ébréché. C'est comme si une fêlure invisible à l'oeil nu traversait de biais, en filigrane, en discrets rayonnements, la surface des choses, y creusait un fil zigzaguant d'acier clair, morsure métallique, ébrêchement discret et ineffaçable, hâchure et morsure qui révêle et cache du même mouvement la lézarde des apparences.

Certains matins, m'examinant dans le miroir, je suis saisi d'une sorte d'effroi. Celui-ci qui regarde, et celui-là qui est regardé, ont-ils quoi que ce soit de commun? En cette image du miroir, comment pourrais-je  reconnaître quoi que ce soit qui soit de moi, qui soit signe de moi, ou reflet, ou double, ou doublure? Quelque chose s'échappe de toute part, coule en dehors de l'espace balisé par les bords, pour se perdre je ne sais où? Quant au regard qui regarde, où donc se perd-il dans les profondeurs insondables d'un corps, d'une tête, d'un cerveau où je croyais me saisir comme source absolue? Ah l'étrange chose, je croyais savoir un peu ce qu'est percevoir, et je me sens présentement morcelé, lacéré comme un Dionysos de tragédie, à moins que ne soit là qu'un mauvais rêve dont me libérera la bienheureuse lumière du jour?

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Commentaires
E
Je ne peux que vous exprimer ma reconnaissance .Vous m avez pronfondément émue .Je vous lis et j apprends.
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E
-Je ne suis pas le reflet, mais le reflet est moi-<br /> <br /> Réflexion d'un japonais devant le miroir, je crois...
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D
Il est possible de publier des photos sur les blogs de canalblog mais vous devez d'abord envoyer l'image (format jpeg= à l'auteur sur son adresse mail). C'est lui qui décidera de son édition éventuelle.<br /> Amicalement
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T
Je voulais simplement illustrer vos propos suite à votre article sur"et le miroit se brisa par une magnifique photo pleine de symbole , mais je pense que l'on ne peut mettre en ligne des photos sur votre blog ,uniquement du texte <br /> description rapide de la photo faute de mieux: un homme se regarde dans un miroir et au lieu de voir le reflet de son visage dans ce dernier , le miroir reflète l'arrière du crâne et le dos de l'homme avec un magnifique point d'interrogation dans son dos comme un poisson d'avril .<br /> Je trouve cette photo truquée pleine de symbolique avec en sus la légende suivante que l'on pourrait modifier " pouvons nous nous voir tel que nous sommes ?".<br /> ON aurait pu voir par exemple le visage de l'homme se refléter dans le miroir , visage et regard d'aveugle affublé de lunettes noires avec la légende suivante " voyant ou non voyant ,que peut -on voir ? "
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T
Essai de transfert d’image sur votre blog . Résultat ?
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