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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 juillet 2010

Du REEL d'ABSENCE

La sensation vraie, gracieusement, nous offre le réel de présence : le monde où nous sommes, où nous nous ébattons, où nous souffrons, où nous jouissons. A nous d'apprendre à jouir, à nous réjouir dans l'évidence des choses qui sont. Et la mort direz-vous? Mais où voyez-vous que nous rencontrons la mort? "Quand je suis la mort n'est pas, quand la mort est je ne suis plus". La mort c'est le rendez-vous toujours manqué. La mort est en quelque sorte le modèle de l'irréel, sa forme absolue. Le monde d'Epicure est un monde de la sereine présence à soi, malgré l'incertitude et le hasard. Une juste raison doit s'éduquer à éloigner les monstres de l'imagination, apaiser les terreurs de l'opinion par un juste resserrement sur l'évidence du présent.

Et pourtant...Si je ne puis expérimenter ma mort, ni aujourd'hui, ni demain, il reste que je vois mourir autour de moi. Et que vois-je? Rien justement. Je vois l'effet inconstestable, terrifiant de la mort, mais la mort en elle-même, je ne la vois pas. Un homme était là, souffrant, haletant et misérable, puis vient un râle, et puis plus rien. C'était un corps vivant, c'est un cadavre. Que s'est-il passé? Apparemment rien, et pourtant tout a basculé. "La mort est passée". Oui, en effet, mais je n'en ai rien vu, elle n'avait ni forme ni visage, ni apparence même, ni annonce ni montre, ni cortège funèbre. Invisible, inapparente, insensible, irréelle si l'on veut, comme un cauchemar ouaté, une ombre funeste, une aile sans couleur qui a tout emporté. Et ce que je sais maintenant c'est que rien n'est plus comme avant, que quelque chose a eu lieu, plus réel que tout ce que je vois autour de moi, pus réel que moi-même enfin, car dorénavant je me sens, je me sais un cadavre en sursis.

Il ya le réel de la présence, mais il y a tout aussi bien le réel de l'absence. Epicure a raison : je ne vois que la présence. Epicure a tort : cet irréel invisible, que je ne verrai jamais, est éminemment réel. Réel d' absence. Encore cette expression ne convient elle qu à demi. De fait je ne sais comment dire.

Nous voici aux bords extrêmes de la représentation, et du langage. Ce que nous entrevoyons ici défie toute figuration, toute pensée. Impensable au sens strict. Réel pur.

Comment mettre au centre de la pensée ce qui se dérobe inlassablement, fuit par tous les pores de notre corps vivant, de notre esprit troublé? Je peux penser à la mort, je ne peux penser la mort. Le plus réel, d'une certaine manière, est toujours hors langage, comme sa butée extrême, ou alors son principe secret, sa source occulte, sa forclusion nécessaire, son origine et sa malédiction.

"Placer le réel au principe de la connaissance". Ah la difficile entreprise quand tout nous en détourne, et l'instinct vital, et le désir, et le plaisir, et le travail même, et toutes les occupations de la culture! Je ne recommande nullement une triste acédie et rumination du funèbre. Mais le pur divertissement me lasse, d'autant qu'il me semble dissimuler souvent quelque inavouable acrimonie. Je veux considérer le tout de la vie, mort y incluse, et me réjouir d'autant, de me savoir mortel, mais vivant.

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