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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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13 mai 2010

NOUVELLE VERSION du NIRVANA

Et si le nirvâna désignait tout autre chose qu'un salut, qu'une miraculeuse cessation de la douleur? Essayons de penser Bouddha en philosophe. Quel état autre l'esprit peut-il atteindre, fort humainement, au terme de sa longue enquête?

Je me souviens avoir lu un soûtra fort énigmatique intitulé "Le filet de Brahma" où le Bienheureux passe en revue tous les systèmes de philosophie concevables, toutes les doctrines et opinions sur l'être, le non-être, l'apparence, la pensée, le savoir, les catégories et choses semblables, pour conclure en bout de course qu'elles sont toutes illusoires et dépourvues de fondement. Il ne s'agit pas, dans cette entreprise, de ruiner  des conceptions rivales, ou hétérodoxes, pour y opposer triomphalement sa propre vision, seule juste et vraie. Un tel projet ne serait ni justifiable, ni noble. Bouddha n'est pas un penseur comme un autre, désireux d'établir la suprématie de son enseignement. Plus profondément, il s'agit de ruiner le système de représentation dans son fondement même, y incluant ce qui pourrait passer pour une orthodoxie bouddhique : en tant que représentation le "bouddhisme" n'est pas moins contestable que les autres. En fait il est impossible de découvrir un critère qui déciderait du vrai et du faux, de l'illusoire et du réel. La pensée ne peut disposer d'un instrument spécifique qui ouvrirait l'accès au réel en tant que réel. Sur un certain plan, celui de la spéculation, toutes les doctrines se valent, également invérifiables et infalsifiables : indécidables.

Si Bouddha est un penseur qui ajoute à son tour une doctrine à toutes celles qui existèrent, existent, et existeront, il ne mérite pas d'attention particulière, et moins encore la réputation dont il jouit depuis vingt-cinq siècles..

Son apport est tout autre, révolutionnaire en effet.

Si l'on considère que le nibbâna est la cessation de toute représentation l'affaire s'éclaire d'un coup, la foudre tombe et déchire les voiles. Révolution mentale : la pensée est le fruit du désir, de la crainte et de l'espoir. Elle ne peut autre chose que construire des images, des concepts et des théories  pour interposer entre nous et le réel la grille des catégories, isssues de la sensation, de la perception, de formations mentales, de la mémoire, du fantasme, des affects - des représentations en un mot, collectives, culturelles, langagières, familiales et personnelles. "Autant de têtes, autant d'avis" dira plus tard Spinoza. En vertu de quoi on peut spéculer, réfléchir, distinguer, raisonner tant que l'on voudra, on ne fera jamais que tourner en rond dans les schémes mentaux, les élaborations rationnelles ou délirantes, sans trouver jamais d'accès au réel. Le réel c'est l'irreprésentable.

Nous sommes viscéralement accrochés à nos représentations qui nous donnent le sentiment de sécurité, qui nous font rêver d'une maîtrise, qui bercent nos illusions de savoir, de pouvoir et de prévoir. Ni la science, ni la philosophie ne sauraient échapper à cette condition fondamentale : penser c'est peser. Peser c'est évaluer l'utile et l'agréable, c'est ramener l'incertitude troublante des choses à notre mesure. La pensée c'est la dictature du moi. C'est notre folie intime.

Bouddha ramène drastiquement notre "être" à cinq agrégats : le corps, la sensation, la perception, les fomations mentales, la conscience, immergeant notre nature dans la nature universelle : impermanence, "souffrance", interdépendance, absence de substance. Et c'est pourtant dans ce monde, tels que nous sommes, dans les choses qui apparaissent et disparaissent, qu'il nous faut trouver une délivrance. Mais quelle délivrance si je ne crois pas aux dieux, ni aux remèdes traditionnels, ni aux pouvoirs de la pensée? Reste la seule solution praticable : la révolution mentale. Cesser de croire, cesser de m'en remettre aux doctrines, ruiner la représentation. Cette brutale ouverture de l'esprit porte un nom : nibbâna.

On voit tout de suite le danger : l'esprit est ainsi fait qu'il va tenter de récupérer instantanément le nibbâna dans un effort de définition, dans une nouvelle (ancienne) catégorie. On parlera de salut, de libération, de délivrance, de béatitude, et tout ce qu'on voudra. C'est évidemment un contresens, auquel Bouddha répondit d'avance en déclarant que le nibbâna est indéfinissable. La seule chose à dire c'est : expérimentez!

Il est de la plus haute importance, à mes yeux, de procéder à un curetage impitoyable. Refuser toute interprétation religieuse, mystique, doctrinaire, idéologique, et philosophique de même. Pour le dire en son tranchant : TOUTE REPRESENTATION. A sa manière, subtile et caustique, Clément Rosset disait : toute représentation est délire.

La seule chance de ne pas délirer totalement est d'accueillir le réel, hors représentation : déchirure de l'Eclair.

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Commentaires
M
par la comtemplation méditative répétée, on peut saisir que le nirvana est la disparition de tous les concepts. <br /> on est donc bien loin de la philosophie(Deleuze). <br /> <br /> mais les notions bouddhiques ne sont pas des concepts , ce ne sont que des techniques à pratiquer ,à experimenter, pour se dégager de la souffrance. <br /> <br /> puis, il reste à se débarrasser de ces techniques. Si le bouddhisme est un véhicule , il faut abandonner le bateau une fois parvenu au rivage(ou le porter sur son dos?)
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G
Je suis plutôt d'accord pour reconnaître la parent de Krishnamurti avec Bouddha, bien que K refuse expressément toute filiation, estimant à juste titre qu'il faut éviter les resuçés et les influences, pour tout reprendre à la source. A chacun de refaire le voyage dans l'originaire, à partir de sa propre expérience.<br /> Vient un moment où l'on n' a plus besoin d'Eveilleur. C'est alors que l'on découvre la vraie liberté.<br /> En tout merci pour ces précieux encouragements.
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K
Ces réflexions se retrouvent sous une expression assez similaire dans les écrits de Krishnamurti ; grande est sa méfiance du langage, et toute pensée est vieille avant même d'éclore traduisant la méfiance du moi à l'égard de l'inconnu. Donc la pensée est obstacle au Réel, filtre incessant. Ici, les deux penseurs (Bouddha et Krishna.) se retrouvent ! Mais sans doute est-ce plus clair chez ce dernier lequel se montre plus volubile et plus "moderne" dans sa terminologie que le premier.<br /> Bravo Maître Pondin !<br /> NK
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