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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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23 avril 2010

Du BONHEUR ANIMAL, et de l'HOMME

Provocation, ou intuition géniale? Les Kuniques, et Diogène le Chien au premier chef, nous donnent l'animal en exemple de vie éthique, vantant son indéfectible sérénité, son équilible et son parfait bonheur. Ils ne manquent jamais d'occasion pour vilipender l'état misérable de l'homme, réduit à se compromettre aux lois artificielles de la Cité, y perdant son âme, son génie et son intelligence. Le vrai Zeus n'est pas au temple, mais dans le vent, la montagne, la lumière. Il préside aux vrais équlibres, assurant à tout ce qui vit les conditions de la croissance. Mais l'homme s'est perdu dans les chimères de la civilisation, corrompu aux fausses valeurs, triste monnayeur de la fausse monnaie du désir. "Je cherche un homme!" , et je ne trouve que des valets du prince, des financiers de basse besogne, des marchands et argousins. Le Kunique excédé clame sa haute solitude dans la mêlée hétéroclite d'Athènes, ne craignant point d'insulter Alexandre en personne.

Revenons à la question du bonheur. En général le Grec vante la félicité du dieu : ""impassible, incorrutible, bienheureux". C'est reconnaître que ce bonheur là est inaccessible, tout en fournissant une sorte de modèle idéal ("Homme mortel au mileu des biens immortels" dira Epicure). Idéal trop lontain pourtant, plus formel que réel. A l'inverse une autre tradition cherche le bonheur  du côté de l'animal, comme Diogène, et Pyrrhon à sa manière, qui vante l'insensibilté du porc sous l'orage, et fait profession d'enseigner la philosophie à ses gorets! Que nous voilà aux antipodes de Socrate et Platon!

La critique kunico-pyrrhonienne revient, en somme, à chercher la cause du malheur dans la conscience, en accord avec nos propres interprétations du tragique. L'animal est heureux d'un bonheur sans mélange parce qu'il ne pense pas. Il se contente de sentir, de percevoir, de lutter pour sa survie, de manger, de forniquer et de mourir, dans le simple appareil de nature, sans trouble ni espérance. Il est tout entier en ce qu'il est, sans regret ni projet. Voyez la vache dans son pré : elle broute, elle rumine, elle dort. Qu'est ce donc le bonheur sinon la parfaite adéquation de soi à soi? En quoi, finalement, le dieu est-il supérieur à l'animal? Quelques siècles avant les Grecs, les Egyptiens adoraient l'animal-dieu, identifiant les deux principes dans une seule et même représentation.

Mais enfin, dira mon contradicteur, je ne suis pas une vache! Moi non plus, pour mon plus grand malheur! La conscience réflexive est passée par là, opérant cette scission sujet-objet (Jaspers) qui me jette à jamais en dehors de la vie universelle, dans une solitude métaphysique sans recours. On peut toujours arguer : culture, langage, famille, liens d'amitié et d'amour, sécurité civile et tout ce que vous voudrez, l'évidence est là : la séparation est sans remède. L'homme, par la conscience est jeté dans une existence dépourvue de centre, d'axe et de sens. Le voilà condamné à l'"errare" (justement dit : humanum est) : errer, erreur, errance, errement. Le poète portugais Pessoa dira plus joliment : nous ne changeons pas, ne progressons pas, nous voyageons. Voyage absurde, absence et ab-sens. Ce que nous appelons pompeusement la culture nous prêtera quelques oripeaux de confection pour un voyage qui ne saurait mener ailleurs qu'à la poussière.

Animal : anima. Profondeur sans surface d'une immersion dans l'instinct vital, coincidence absolue, béatitude de l'immanence. Qui dit mieux? Le drame c'est que pour nous il n'est pas de retour possible. Est-ce une raison pour nous préciter, telle la flèche d'Achille, frénétiquement, dans un avenir sans ad-venir? Leçon kunique, et épicurienne : ne pas se hâter, car rien de radicalement nouveau ne peut surgir sous le soleil. "Eadem sunt omnia semper".

Nous sommes dans la déchirure. La déchirure est notre paradoxale demeure. Ce qu'on appelle sagesse est peut-être tout simplement cela : prendre acte, et cesser de s'illusionner sur d'impossibles remèdes. Le tétrapharmacon d'Epicure n'est pas un remède, c'est la conscience de l'impossible, avec la décision de vivre, lucidement et courageusement, à l'orée d'une caverne. Ni retour, ni projection dans l'illimité, se tenir au plus près, entre ville et campagne, culture et sauvagerie, animalité et humanité, besoin et désir. Lucrèce dira, dans la continuité du Maître : "non plus quam minimum".

         En attendant - quoi? - je mets à profit toutes les occasions pour caresser la tiède fourrure des chiens, minauder avec les minous, brouter avec les chevaux et les vaches, aboyer contre l'injure des temps, considérant qu'en somme mon logis vaut bien l'amphore de Diogène, accueillant mes amis, pour le plaisir du vin et de la causerie, dans mon modeste Jardin Philosophe.

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Commentaires
G
Vois posez légitimement la question de l'engagement. Je pense qu'il faut effectivement s'indigner et protester tant qu'il est nécessaire, tout en menant sa propre vie selon sa propre logique. Position double qui ne va pas de soi, et que j'essaie de pratiquer du mieux que je puis. Mais le malheur du monde ne doit pas nous accabler, car il ne sert de rien d'ajouter le malheur au malheur. Par contre il est juste et digne de clamer contre le malheur et de chercher des solutions avec ceux qui ont le sens de la justice.
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H
Hélas!dans cette ère d'élevage industriel, l'animal est devenu un objet.<br /> On ne s'illusionne pas à les regarder souffrir dans les stabulations, les transports, les abattoirs.<br /> Et comment on fait alors pour limiter cette souffrance? On reste dans son amphore?
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M
je crois que la philosophie est un art de vie.<br /> Par ce que philosopher
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