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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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21 avril 2010

Du TRAGIQUE et du REEL

En toute rigueur le tragique ne peut se signaler que de la conscience qui fait l'expérience des contradictions de la condition  humaine. Le désir veut l'objet magique, la réalité s'y oppose. Le désir veut le Tout, et l'expériencene ne présente que des objets dans l'ordre du temps, morcelés, incomplets, impermanents et métonymiques. La volonté de savoir est contrecarrée par les limites de nos organes de perception et d'intellection, sans compter l'épaisseur impénétrable des choses mêmes. Toute puissance se développe sur fond d'impuissance. La justice elle-même n'est que convention arbitraire, portée par la nécessité au rang de Loi transcendante. Et dieu enfin n'est que l'"asile de l'ignorance".(Spinoza). Voilà de quoi décourager nos espoirs et nous remettre à notre juste place dans les plurivers infinis. Mais come le désir est inextinguible, comme la volonté de savoir et de pouvoir est sans limite, le héros  se fracasse contre l'interdit, et s'il s'obstine dans sa quête, contre l'impossible. Le tragique est cette souffrance d'être soi-même la tension indépassable entre l'aspiration et les lois du réel. C'est en quoi Oedipe est le prototype inégalé du héros tragique, non d'avoir commis je ne sais quel inceste, qui ne peut être qu'imaginaire, mais de ne savoir juguler sa soif de savoir, jusqu'à l'absurde.

Cette leçon est remarquablment distillée dans la tragédie attique, mais aussi dans la psychanalyse, dont c'est peut-être la seule lettre de noblesse. Les autres psychothérapies font volontiers miroiter je ne sais quel accomplissement magique du moi, en cultivant ou renforçant le narcissisme du sujet : réussite sociale, vie de couple épanouie, sexualité heureuse, voire jouissance et éternelle jeunesse. Pour un peu on promettrait l'immortalié si un reste de conscience ne venait jeter le discrédit sur les espérances illimitées du patient, et parfois du thérapeute! Au moins la psychanalyse ne tombe--t-elle pas dans ces illusions. Elle ne cesse de mettre en garde contre les désirs illimités, les constructions délirantes du fantasme, les fantaisies du narcissisme, répétant à l'envi que le bonheur n'est pas au programme de la création (Freud), que le désir bute sur l'impossible (Lacan), que l'analyse en somme transforme la névrose en malheur banal (Freud), et que la seule guérison concevable consiste à mieux gérer son existence dans l'ordre implacable du monde. Réalité et Réel restent les référents indépassables du processus de maturation.

On peut évidemment nier le tragique et se complaire dans un optimisme de confection. On peut se réfugier dans la religion, les sectes, les idéologies. On peut s'abrutir dans l'alcool et les drogues. On peut choisir le suicide, réel ou imaginaire. Le tragique, sitôt entrevu, peut se dissoudre dans les vapeurs stuporeuses des conduites addictives, ou le déni psychotique. S'il n'est de tragique que dans et par la conscience il suffit de supprimer la conscience, du moins cette disposition lucide et critique de la conscience, tout en continuant par ailleurs son train de vie, misérable ou sublime. Il est fâcheux de voir des "philosophes" construire d'admirables murs de défense idéologiques pour étouffer, obnibuler la conscience, chez des sujets qui précisément se devraient tout entiers au chemin de vérité. Aussi les vrais philosophes sont-ils plus que rares.

Le tragique se définit comme la découverte et l'assomption du réel. La conscience tragique est cette disposition, qui dans le sujet, le met en relation avec ce fond de terreur et de jubilation ( "voluptas atque horror" disait Lucrèce) que rien ne pourra plus jamais recouvrir et colmater, dont le contact est la cause d'une modification définitive de toutes les représentations. Quoi qu'il puisse advenir cette expérience-là reste au centre de la psyché, comme un Feu obscur, un vortex de ténèbre et de lumière. Loin de rejeter cette révélation à la périphérie, dans les limbes de l'inconscient ou dans les obscurs desseins de la providence, on en fera la forme informe de l'Enigme, la source de toute terreur et de toute joie. Cela in-siste, cela était, cela est et sera, de toute éternité, dans le mouvement même des choses, dans les tourbillons et les mouvements du monde. Une seule fois jailli, le feu ne s'éteindra jamais. C'est le secret de la sagesse tragique.

Quelques poètes, peut-être mieux que les philosophes, en témoignent, dans la souveraine clarté. Mais à l'origine, et parfaitement contemporain, et pour toujours, Héraclite. "Qui pourrait se cacher du Feu qui ne se couche pas?".

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Commentaires
G
C'est bien dommage d'être intimidée par la philo. Il est vrai que certains en rajoutent dans l'obscurité et le galimatias. Moi je m'efforce d'être toujours limpide. C'est une question d'éthique, autant que de style. N'hésitez pas à écrire ici si vous en sentez le désir. Cela peut être un grand plaisir. Une participation sincère vaut de l'or.
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A
Je passe de temps en temps, sans prendre la parole, la philo peut avoir cet effet d'intimidation... <br /> Arrêtée ce jour par "le réel". Essentiel réel, terreau où se planter pour mieux densifier lecture, écriture, réflexion. parfois je suis tentée par les sphères de l'abstraction, poésie, philo, psy, littérature... prise par la jubilation de la pensée. Mais très vite, et toujours, il me rattrape et j'aime bien être attrapée, j'avoue. Pour mieux apprécier, à partir du réel, ses éclats dans l'esprit
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