Des REMEDES REELS et ILLUSOIRES
De quelque manière que l'on s'y prenne, la vie est difficile. Nous envions telle star comblée de tous les biens imaginables, qui, un beau matin, se retrouve pendue dans sa chambre, ou terrassée de barbituriques. Et nous nous demandons : "Que lui est-il donc arrivé? N'avait-elle pas toutes les chances de bonheur?" Et je pense aux derniers vers de Sophocle dans Oedipe-roi : ""Il n'est point de mortel, à le suivre des yeux jusqu'à son dernier jour, qu'il faille féliciter avant qu'il ait franchi le terme sans avoir connu la souffrance".
La sagesse traditionnelle nous propose des remèdes : "phamakon", qui signifie à la fois remède médical et poison. Juste ambiguité, car où commence l'un et où s'arrête l'autre? Pharmacie, pharmacopée, l'alliée necessaire de la médecine, mais aussi, préventivement, de l'hygiène. Les Anciens privilégiaient, comme les Chinois d'ailleurs, la conduite préventive, qui met l'accent sur la conduite juste plutôt que sur le remède, qui vient toujours trop tard, et dont l'effet correctif est problématique. Le médecin chinois était payé tant que vous étiez en bonne santé, mais se devait d'intervenir gratuitement quand vous tombiez malade, selon une logique fort simple : son rôle est moins de guérir que d'empêcher le surgissement de la maladie. Dans le même esprit les Epicuriens et les Stoïciens nous donnaient une série de recettes simples et efficaces pour nous maintenir en bonne santé, laissant le soin de la correction à Hippocrate. Epicure nous prescrit une solution en quatre branches, valable en toute saison, et dont le ressort est de purger l'âme des craintes funestes. Le tetrapharmacon écartera, par une juste compréhension de la nature des choses, les poisons de l'âme ravagée par les passions :
les dieux ne sont pas à craindre
la mort n'est rien pour nous
le plaisir est facile à obtenir
la souffrance inévitable peut s'endurer
Remèdes préventifs dont d'aucuns se sont moqués, mais qui restent, à les réinterpréter et amender, d'une simple et incontestable efficacité. Mais à la condition expresse de les rapporter comme il fait, à une physique des éléments, à une vision rationnelle de l'univers, à un juste rapport entre la nature de l'homme et la nature universelle. L'essentiel est de ne rien attendre de quelque Providence imaginaire, des pouvoirs en place, des prêtres et des charlatans, et de s'en remettre à notre native constitution mortelle et finie, en quoi le plaisir constitutif est accessible, seule condition réaliste de bonheur. "Vivre selon la nature" - et empressons-nous de préciser : selon notre propre nature. Epicure, esprit fin, cultivé, subtil et noble, a compris les lois fondamentales de notre condition, et c'est dans cette condition même, dans ses possibles et ses limites, que l'homme peut et doit réaliser une sorte de perfection.
Ne pas craindre, ne pas espérer, ne rien attendre de quelque puissance inexistante, ni prier ni sacrifier, ne pas se perdre dans des activités inutiles, fuir les plaisirs frelatés, éviter l'ambition et le culte du pouvoir, se resserrer sur l'essentiel, cultiver la sagesse et l'amitié, se suffire autant qu'il est possible à soi-même sans rejeter personne, et pour le reste tirer de la contemplation de la nature le calme et la sérénité. Cela ne garantit pas le bonheur. Du moins cela nous met-il sur sa route.
Qui dit mieux?