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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 avril 2010

EPICURE et l 'ECOLOGIE

Epicure est peut-être le seul, avec son école et l'héritage de Démocrite l'Ancien, à pouvoir être considéré comme un père de la pensée écologique, du moins dans la longue tradition philosophique de l'Occident. Son "vivre selon la nature " s'oppose merveilleusement au précepte cartésien : "devenir comme maître et possesseur de la nature". Epicure n' a jamais rêvé d'une domestication scientifique et technologique de la nature, ni aucun des Grecs d'ailleurs, mais lui se détache des autres par un sentiment très particulier d'appartenance au Tout, d'humilité dans la peinture de l'homme considéré comme une réalité strictement corporelle à l'instar de tout ce qui existe, dieux y compris. Voilà qui demande quelques approfondissements.

Rappelons d'abord la pensée fondamentale : il n'existe que deux principes, les atomes matériels et le vide. Les atomes sont en nombre infini, composant dans le vide des corps éphémères et périssables. Pas d'exception à ces principes. Les hommes sont des corps, comme les étoiles et les dieux. L'âme est un corps subtil, mais un corps. Ce qu' on appelle "nature "(physis) n'est que la somme des éléments premiers et des corps. Ni Providence, ni Causalité intelligible, ni signification, ni finalité. Les dieux ne gouvernent pas, mais siègent dans les intermondes, oisifs, incorruptibles et bienheureux, modèles de vie épicurienne. L'univers, immense et insondable, comprend un nombre indéfini de mondes plus ou moins semblables au nôtre. L'homme est dans l'univers insignifiant comme sont les plantes et les animaux, avec en plus, ou en moins, la conscience qui le livre au doute et à l'interrogation. L'essentiel est de bien voir que dans cette conception il n' y a aucun recours à la responsabilité humaine : ni dieu créateur, ni providence, ni plan de développement final et signifiant. Ni les prières, ni les implorations, ni les sacrifices ne servent de rien : le ciel est déserté, les dieux silencieux, et les hommes ne peuvent compter que sur leur intelligence pour survivre en ce monde.

Si nous agissons selon la passion de domination et de puissance aucun dieu ne viendra nous secourir. Nous porterons seuls les conséquences de nos actes.

L'homme est nature et élément de la nature, par son corps physique ( soma) mais aussi par son corps vital (psychè) et son corps mental (noûs). Rien de divin là dedans. Un agrégat corporel, plus complexe sans aucun doute, mais de même nature. Homo-natura, ce qui n'exclut en rien la pensée, le calcul, les sciences, les techniques, les arts et la philosophie. Simplement une échelle de complexité ascendante, dont l'homme semble occuper le sommet, à l'exception des dieux, plus "réussis "que nous. L'intelligence permet de comprendre certaines lois naturelles ("physiologie" = étude de la nature) et d'améliorer les conditions de la vie, par exemple par la chasse, la pêche, les outils, les vêtements, la cuisine etc. L'homme crée de la sorte un aménagement de sa clairière, ouvre des espaces nouveaux et développe la culture. Mais jamais la culture ne sera considérée, comme chez Hegel ou Bataille, comme une contestation de l'ordre naturel, une machine de guerre contre la nature et un moyen de domination. L'homme grec, et l'épicurien plus encore, considèrent que l'ordre naturel est le fondement de la vie, et qu'il importe de le respecter : "vivre selon la nature".

Au delà de ces considérations physiques essentielles c'est l'éthique épicurienne quio témoigne le plus brillamamnt en faveur de la modération et de l'équilibre. L'épicurisme est une thérapeutique de la souffrance. La première souffrance vient des besoins naturels : manger, boire; dormir etc. Or ces besoins naturels, dans une société "normale" peuvent être satisfaits avec peu de moyens. Vivre de peu : non plus quam minimum. Un bout de fromage, du pain, et de l'eau et me voilà l'égal de Zevs en personne. (On voit ici que l'enseignement des Cyniques, et de Diogène en particulier n' a pas été évincé par l'épicurisme) . Si les besoins élémentaitres sont relativement faciles à satisfaire (contenter) il n'en va pas de même des invraisemblables désirs humains qui semblent enfler à la dimension du ciel, selon une logique de l'insatisfaction et de l'accumulation sans borne. D'où la fameuse classification des désirs : ne chercher à satisfaire que les désirs naturels et nécessaires, être vigilant à l'égard des désirs naturels en non-nécessaires ( comme la sexualité, le théatre, les conversations etc) et bannir totalement la poursuite des désirs non naturels et non nécessaires (ambition politique ou littéraitre, recherche de la gloire, domination, pouvoir, etc dont Alexandre semble être l'incarnation vivante). Bref une morale "ascétique", non au sens religieux, mais au sens étymologique d'"exercice", "entraînement' en vue d'un plaisir supérieur, facile à atteindre et à conserver. L'insensé, en fin de compte, c'est l'ambitieux, l'avare, le glorieux, le dominant, l'affairé, le mercantile, le libidineux, en un mot le passionné pathologique.

Ethique du peu. Ethique de la modération. Le plaisir, naturel et nécessaitre, comme norme de vie et d'excellence. Ni compétition sauvage, ni furie politique, ni volonté de puissance, ni acharnement technologique, ni volonté de comprendre à tout prix, de mieux savoir pour mieux pouvoir : l'épicurien n'est pas un politique, ni un chercheur, ni un savant, ni un théologien, ni un prêtre, ni un moraliste, et surtout pas un fanatique de la vertu ou de la connaissance. Le savoir n'est utile qu'à réduitre nos maux et à accroître le plaisir constitutif, non les plaisirs factices et frelatés de la luxure et de la débauche, mais ce plaisir naturel et nécessaire d'exister en paix dans un monde qui ne l'est guère.

Equilibre, harmonie construite par la pensée du Sage, incarnée dans un projet communautaire : le Jardin d'Epicure, cet oasis philosophique et thérapeutique, opposant au monde de la haine et des ambitions la sérénité de la sagesse et de l'amitié. "Les amis" inventent un autre monde face à la barbarie, le font vivre de leurs efforts, croître dans la durée, comme un symbole vivant de ce que peut l'homme cultivé dans l'indifférence de l'univers et la bêtise des pouvoirs. GK

PS On voit pazr là qu'il est possible de concevoir une authentique culture dans le prolongement des enseignements de nature. D'ailleurs les anciennes civilisations se définissaient toutes de la sorte. C'est l'homme occidental, cartésien et hégélien, qui a inventé cette funeste idéologie du progrès indéfini qui nous mettrait en égalité avec Dieu. Comme quoi l'invention du dieu unique est la catastrophe par excellence.

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