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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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18 mars 2010

Le PHILOSOPHE dans la CITE : ETHIQUE du DIRE

Comment agir concrètement dans la cité quand on se sent vocation à y dire quelque chose? Comment intervenir, où et pourquoi? Quel est le projet fondamental, en fonction duquel il faut choisir les buts et les moyens? On peut certes se retirer dans son jardin, ce que je fais d'abondance, pour y goûter le jour, et y cultiver les Muses, y recueillir son corps et son esprit, y purifier ses sentiments et y éléver son âme. C'est le préalable absolu à toute réformation de la sensibilité et de l'entendement, à tout projet d'action dans le monde. Le retrait s'impose, mais il n'est peut-être pas nécessaire qu'il soit définitif. Pour autant il ne faut pas se perdre dans le bavardage, la pusillanimité et la stérilité politiques. C'est ici que je ne suivrai pas intégralement Epicure qui se moquait des moralistes, idéologues et autres bonimenteurs. L'époque me semble réclamer une intervention du philosophe, dans la mesure où nul autre que lui ne peut dire ce qu'il a à dire, et que les conditions extérieures ne sont pas encore complètement perverties par la gangrène du sécuritarisme.

Je ne suivrai pas l'exemple de Diogène le Chien, encore que je l'approuve dans son principe. Mais il y faut une résolution, un héroïsme de caractère que je ne possède en rien. Laissons donc la provocation, le scandale, l'interventionnisme militant à d'autres. D'autant que ce n'est pas forcément la méthode qui convient. Mais je retiens l'idée qu'une vraie philosophie se doit de déranger les certitudes, d'interroger les fondements impensés, de faire éclater les contradictions, déboussoler les dévots et les profiteurs, déboulonner les idéologies souterraines, exhiber les faux-semblants, dénoncer les fausses valeurs qui ravagent notre monde. Pourchasser la culture des passions tristes, des illusions, des mirages et des mensonges.

Toute construction originale suppose une destruction : "philosophie au marteau", martellement premier, combatif et généreux. Déconstruire, pour ouvrir un espace de liberté. Faire entre-voir d'autres chemins possibles. Politique d'Apollon, l'arc qui détruit, la lyre qui musicalement génère la renaissance.

Nul ne saurait être à la hauteur de cette tâche. Je prends immédiatement la mesure de mes insuffisances, et après tout je ne suis ni un prophète ni un gourou. Mais ce n'est pas une raison pour se taire si l'on a quelque chose à dire.

Il s'agit donc de dire, et non simplement de parler. On peut parler pour ne rien dire. C'est d'ailleurs la pratique la plus courante. Pour dire il faut avoir quelque chose à dire : pas de dire sans contenu énonciatif, sans sujet énonçant et énoncé signifiant. Le sujet dit, mais pour dire il se doit d'être à la hauteur de cette exigence éthique du dire, se posant cette question préalable : suis-je fondé à dire, de quel lieu, de quelle juridiction suis-je fondé à dire, et dire quoi? Se poser ces questions c'est se donner des règles éthiques pour s'inter-dire le bavardage, l'exhibition et le faux-semblant. A supposer qu'on ait franchi cet obstacle et que le sujet se sente digne de poser son dire, reste à savoir quel en sera le fondement, le contenu, la signification, et la valeur. Dire quoi? Peut -être que ce qui a été dit jusqu'ici pêche en quelque manière. Il faut l'audace de la contestation pour poser les pierres d'un débat. Mais où est l'erreur? Mettre le doigt sur l'erreur. Explorer les sous-entendus, les implicites, les certitudes infondées. Mettre à jour les impensés. C'est déjà un grand travail, pour lequel il faut l'intelligence consceptuelle et le sens de la valeur. Nietzsche disait : symptomatologie, typologie, généalogie : de quelle force se nourrit le symptôme, force active, réactive ou passive, origine de la force, signification vitale de la force? Cela nous met sur la piste du chasseur : qui parle, de quel symptôme est-il le porteur inconscient, quelle est la force qui détermine le symptôme, quelle est l'origine et la valeur de cette force, et enfin, quelle est la valeur de cette valeur?

Pour dire avec justesse il faut avoir parcouru nombre de continents, sondé bien des abîmes, côtoyé bien des gouffres, et en être revenu transformé. Tant que se dérobe le fondement absolu tout dire n'est que parole, expression d'une subjectivité creuse, ou douloureuse, ou illusionnée, pathétique certes, mais d'un pathos aveugle. Errement d'une âme en perdition, errement d'une âme ignare, ou bernée. Passer par l'épreuve du non-savoir, du dépouillement pyrrhonien, de la dé-subjectivation, voilà la route. On s'y perd, on y périt, ou bien on en sort transformé. Et alors un dire est possible.

Voilà qui donne sa règle à l'intervention publique : écrire, publier, inter-venir, inter-roger, questionner, mettre à nu, faire parler pour susciter le dire, réveiller ce qui sommeille, faire advenir : Apollon, le dieu qui fait signe. Mais nous n'avons qu'une faible prescience de vers quoi le signe fait signe. Dire c'est risquer, dans la déroute du convenu, un autre signe pour un autre chemin.

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Commentaires
G
Ces deux excellents commentaires ouvrent la question du symbole et du symbolique : le symbole sépare en deux (le mot et la chose) en quoi il est un dia-bolon, et d'autre part il réunit ce qui a été séparé, mais sur un nouveau plan, qui est précisément le symbolique. Mais il y a toujours un reste, un déchet, un indicible qui résiste à la symbolisation, ce qui relance indéfiniment l'acte de parole, dans un effort infini et toujours échoué de recréer le rapport adéquat : d'où les arts, la poésie, la philosophie vivante, et aussi le symptôme comme résidu inexpugnable.
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T
Dire, c'est trancher, au risque de trancher la cité en deux parties irréconciliables. Mais au risque également d'unir ce qui a toujours été disparate, pour en faire une unité plus grande, qui fasse honneur à l'homme.
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