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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 octobre 2009

PARADOXES de l'IDENTITE

Identité, de idem, le même. Est identique à soi ce qui ne diffère en rien de soi-même. On suppose une identité de la personne à travers le temps, soit une sorte de constance existentielle qui fait que je m'estime le même à treize ans et à cinquante cinq. Mais cela ne va nullement de soi. C'est un postulat plus qu'une nécessité. Il serait facile d'ironiser en évoquant mille et dix mille facteurs de changement, d'évolution, voire de révolution. Reste que cette idée est quasi indéracinable. Elle satisfait très évidemment à un besoin, plus qu'à un simple désir.

En fait l'identité est sociale. Il importe à notre justice, à notre police, à nos institutions de nous identifier pour nous pourchasser le cas échéant. La société ne peut tolérer l'irresponsabilité, du moins en principe. D'où les cartes dites d'identité, avec portrait, références biographiques, biométriques, numéros, chiffres, codes, empreintes, marques et signaux de toute nature, et de la personne, et de son habitat, de son véhicule, de son blog, de son groupe sanguin, de son ADN, de sa profession, de ses origines ethniques, de ses choix philosophiques et politiques, de ses appartenances confessionnelles, partisanes et syndicales, de ses préférences sexuelles, de ses relations, et de son chien pour faire bonne mesure. Aucune société, à ce jour, n'a jamais disposé de tant d'outils technologiques pour surveiller, encarter, enrôler et contrerôler, embrigader et numéraliser, à côté de quoi nos anciens fascismes relèvent de la préhistoire! Inutile de créer des cellules de contrôle "prolétarien" ou "national". Souriez, vous êtes fichés! Et chaque jour de nouveaux instruments de surveillance, d'espionnage technologique et informatique viennent renforcer, corriger, "finaliser" comme on dit aujourd'hui les anciennes sources d'observation. Identité! Ah le beau monstre idéologique! Et dire que tant de gens y croient, en veulent encore de cette maudite identité qui nous vaut les guerres, les massacres, les revendications nationalistes, les progroms et la barbarie, sous toutes les formes imaginables!

Plius qu'"un animal politique", et avant tout, l'homme est "un animal de horde" (Freud). Dès lors la création d'une authentique, paisible et durable universalité est pour le moins problématique. Et les religions qui se disent unversalistes, je mets à part le bouddhisme qui n'a jamais persécuté personne mais qui n'est pas exactement une religion, n'ont fait autre chose que de substituer à la barbarie locale une forme inédite de barbarie continentale, exerçant le massacre à plus vaste échelle!

Identité, faux concept! Car enfin, pour la définir, pour lui donner un contenu pensable, il faut, paradoxalement, emprunter ailleurs, dans l'Autre, des éléments différentiants. Je ne peux définir un terme que par différence. Un signe linguistique est très exactement ce que les autres ne sont pas. Pour dire ce qu'est un chat je l'opposerai au chien, au rat, au lapin, à l'ours etc, faisant inévitablemnt le tour du dictionnaire pour tenter d'en rendre compte. Il me faut la batterie des autres signifiants (Le Trésor des Signifiants) pour délimiter celui-là, et ainsi de tous les autres. Et encore, au terme de ma recherche, -puisqu'il faut bien s'arrêter - je n'aurai nullement saisi dans l'esprit la nature du chat, victime involontaire d'une approximation indépassable du langage. Bref, aucune identité ne peut se soutenir de soi-seule.

Cela se voit très nettement dans les identifications régionalistes, nationalistes, ou idéologiques : les gens s'étripent d'autant plus ardemment qu'ils ont le plus grand mal à se différencier des voisins immédiats, et ainsi la barabarie la plus atroce s'exerce-t-elle le plus volontiers sur le cousin, le frère, le consanguin, le "métèque" soupçonnés d'être d'infâmes agents de corruption identitaire. Voyez les exterminations dans l'ex-Yougoslavie.

Pas d'identité sans identification, donc de mouvement vers l'Autre pour en saisir l' "essence identitaire", tout en prétendant s'en différencier. Pas d'identité sans aliénation, c'est à dire de dépossession de soi dans l'assimilation de l'autre ou à l'autre. Cela ne souffre pas d'exception.

On dira: mais que faites vous du principe d'identité? N'est-il pas le fondement de la logique? Eh bien non, car il est lui-mêle une absurdité logique. Si je dis : "un chat est un chat", en quoi le second chat est-il le même que le premier, puisque je les distingue? D'ailleurs on voit bien dans la formulation même un déplacement d'accent, une sorte de sourde insistance, une intention critique, un volontarisme qui déségalisent : les chats ne font pas des chiens. C'est que la différence du chat d'avec les autres espèces voisines est d'emblée posée en filigrane dans le discours. En toute rigueur je ne peux formuler d'identité sans créer de la différence.

Notre interlocuteur s'impatiente : "Mais enfin, vous admettrez-bien que A=A . Cela est irréfutable!" Cet argument, voyez-vous, ne me troublera pas. Car ici encore, pourquoi voulez-vous redouber le A, et le mettre en relation avec un autre A, supposé clore à jamais la fuite du discours? Ce redoublement même est l'indice de l'impuissance. Il faudrait dire, sans plus : A - sans ajouter quoi que ce soit. Mais du coup ce A n'a plus de contenu. Ce que je voulais démontrer.

Mais à tout cela, qui peut paraître frondeur, Pyrrhon nous a de longtemps initié. Contre Aristote, théorien du principe d'identité et du tiers exclu ( A=A, il n' ya pas de tierce possibilité entre A et Non-A), Pyrrhon fait voir, et sentir, le caractère insaisissable, immaîtrisable, indéfinissable donc, de toute chose au monde. "Pragmata", et non pas "onta" : des choses évanescentes, et non des étants, des réalités fixes, ou des concepts. Aucune identité, ni ici ni là-bas. Rien que des phénomènes, des processus, des indéfinissables. J'en ai parlé souvent, et je ne veux pas insister. Mais quelle libération dans cette philosophie -là! Quelle ouverture!

Si seulement cette liberté-là pouvait se traduire dans la vie pratique! Sans doute faut-il être Pyrrhon en personne pour vivre et s'épanouir dans cet air épuré de la non-identité! Au moins, que la philosophie, à défaut de toute politique et de toute morale, nous initie à penser l'universalité, à la goûter! Hors de tout souci de dé-finition, ici, et dans le grand art peut-être, la singularité non identitaire et l'universalité se conjuguent-elles dans l'authentique culture.

 

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