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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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5 octobre 2009

DE la SOUVERAINETE de SOI : le Kairos et le Daïmon

Goethe disait : "Herrschaft über sich selbst". Littéralement : Souveraineté sur soi-même. Comment devenir un seigneur dans la maison de sa propre intimité? Comment devenir capable de règner sur soi-même, en soi-même? Et quelle est cette instance psychique  capable de gouvernance sur les pulsions, désirs et passsions, dans une juste et harmonique régulation intérieure? La réponse ne va pas de soi.

Rejetons dès l'abord cette aimable illusion, fort commune, selon laquelle le Moi serait pleinement autonome, ce qui implique une pleine et entière conscience, lucidité et liberté. C'est dans cette veine que Descartes se situe  par l'exercice du libre arbitre, qu'il considère comme allant de soi. Je peux choisir, donc je suis libre. C'est oublier que nos choix ne sont pas forcément nôtres, alors même que nous croyons en avoir la clé. Là dessus référons-nous plutôt à Spinoza dénonçant les illusions de la conscience. Après Nietzsche et Freud l'affaire est entendue.

Pour autant ne jetons pas l'enfant avec le bain. Il est beau d'être lucide, mais non désespéré. "Je" ne suis pas sans pouvoir, même si ce pouvoir est fragile, constamment menacé, précaire et instable. Que ce "je" soit conditionné par les images, les fantasmes et les signifiants (" le sujet est un signifiant pour un autre signifiant ") signifie qu'il faut s'efforcer autant que faire se peut de prendre la mesure de ces conditionnants, sans s'illusionner à moindre frais sur nos pouvoirs. Travail interminable, toujours à recommencer, mais qui a sa grandeur et ses effets. Le difficile consiste à accepter ce dialogue perpétuel avec l'inconscient et ses prestiges, souvent fallacieux, mais d'autant qu'ils ne le sont pas toujours. Parfois, par quelque grâce mystérieuse, le dieu intérieur se met à parler. Alors l'évidence s'impose à celui qui sait écouter.

Kairos : moment exceptionnel où se défait le voile et où paraît le Vrai. Fulgurance, vite effacée. Il ne faut pas attendre, mais bondir. C'est ainsi que Valéry décrivait l'inspiration poétique : le premier vers est offert par le dieu, il nous reste à composer le poème. Mais nul poème n'est possible sans cette première offrande.

"Ce toit tranquille où marchent des colombes"

Entre les pins palpite, entre les tombes".

Le premier vers vient du dieu, le second est déjà le produit d'une élaboration, appelé par l'urgence de la rime, et du sens. La composition est une mise, côte à côte, du don et de la pensée. Mais c'est le don qui vient en premier. Sinon ce ne peut être que verbiage dans l'inessentiel.

Je dirais volontiers que le poète est un homme habité, non en permanence, mais occasionnellement par la voix. Une voix d'ailleurs, de l'extérieur semble-t-il, voix des dieux ou de l'inconscient - mais où est la différence? - donnée dans une extériorité intérieure, une sorte de pays sauvage peuplé d'anges et de monstres, un intermonde mythologique où grondent les Titans et où passe le vol bleuté de la mésange. Etre poète c'est se savoir voué au néant quand la voix, durablement, se tait. C'est aussi savoir se taire soi-même pour se rendre. Se faire oreille. Alors, parfois, il entend ce que nul n'entend, ou plutôt ne veut entendre.

Le poète complet entend et parle. Mais en théorie tout un chacun pourrait réaliser la moitié du programme, et à défaut de parler, au moins entendre. C'est un début. La parole viendra sans doute, et il n'est pas forcé qu'elle se récite en vers et en strophes. Cela c'est le privilège du poète.

Dans nos innombrables bavardages, quand nous arrive -t-il de parler? Quand nous quittons le masque, quand le masque nous quitte, et que surgit précisément cette voix qui n'est ni tout à fait interne ni tout à fait externe, livrant ce que je ne sais pas encore, mais qui, déjà, me préexiste. Après coup c'est l'évidence : je savais sans savoir et je sais que je sais. Et tout de suite, fulgurance passée, la vérité se décolore, se banalise et s'enlise. Je ne peux en faire un dgme sur qui me reposer. La vérité passe comme les anges, ou les oiseaux dans le ciel. Je n'attrappe rien, mais le miracle s'est produit.

Surgissement, effacement du kairos.

Peut-être reste-t-il un poème, témoin que je n'ai pas déliré. Ou la chaleur d'une révélation, informulable mais éblouissante. Je suis encore le même, et je suis autre. Et voici revenue la réalité, et le souci, et le quotidien. Mais je connais que je ne suis pas absolument seul. Parfois c'est un ami, parfois c'est un dieu qui parle. Et de l'entendre j'apprends à parler.

Je ne sais plus exactement ce qu'est la seigneurie intérieure. Ce n'est pas exactement une maîtrise, ni une dominance. C'est peut-être la faculté de faire sienne la voix du Daïmon. Ne cherchons ni l'origine ni la fin. Qui est-il ce "je", entre l'autre en moi et moi-même? Ni substance, ni gouvernance : le daïmon de la métamorphose.

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