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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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31 août 2009

POSITION DEPRESSIVE , PATHOLOGIE DEPRESSIVE

Il faut soigneusement distinguer la position dépressive de la pathologie dépressive. La première est une étape nécessaire du développement psychique, la seconde une souffrance durable, parfois définitive, qui signe un échec de l'évolution. Pour autant, dans la pratique, les deux ne sont pas toujours aisées à différencier, dans la mesure où les symptômes sont quasiment les mêmes. Mais au delà des symptômes le clinicien devra être attentif à la différence de structure.

C'est Mélanie Klein qui a été la première à diagnostiquer et définir la position dépressive. Dans l'évolution psychique normale du bébé il faut distinguer deux phases successives. D'abord, dans les tout premiers mois de la vie, quand l'enfant est encore en indifférenciation psychique avec sa mère (son contenant et son enveloppe psychique) il vivrait selon la logique de la position schizoparanoïde. Les affects circulent de la mère à l'enfant, de l'enfant à sa mère, selon un coefficient d'urgence du besoin et de violence émotionnelle très aigu, en l'absence de véritable régulateur, hormis l'éventuelle sollicitude maternelle, si toutefois la mère est "suffisamment bonne".(cette expression est de Winnicott, et me semble excellente). Le caractère "schizoïde" renvoie aux terreurs de l'abandon, le "paranoïde" à la violence incontrôlable des pulsions de destruction, (manger, absorber)  à la haine, (absence momentanée du sein nourricier), à l'envie, à l'urgence de la satisfaction et aux hantises persécutrices. Ces affects sont inévitables et plongent le Moi naissant dans l'alternance pénible du plaisir et du déplaisir, de l'amour et de la haine. Le sein, réel et fantasmé, est à la fois un bon objet, source de tout le plaisir possible, et un mauvais objet, persécuteur par sa piètre qualité ou par sa douloureuse absence. Ce monde des premiers mois est au total chaotique et violent. La mère seule pouvant y introduire quelque rythme rassurant par son amour à la fois bienveillant et mesuré. Les psychoses s'origineraient des ratages catastrophiques de cette relation première.

Au cours de la seconde année le bébé prendrait conscience, progressivement, de la différence entre lui et sa mère. D'une fusion-confusion originelle il évoluerait vers la reconnaissance que la mère est un objet total, une entité indépendante de lui, un autre. Cela suppose la reconnaissance d'une séparation "ontologique" fort douloureuse, mais nécessaire. Il faut faire le deuil d'un fantasme de participation, d'unité psychique, de symbiose. Une distance se crée, dans la douleur, le désenchantement, signant la perte d'un premier objet idéalisé, mais dangereux. Le sevrage donne un contenu de réalité à cette expérience dont la portée est évidemment beaucoup plus générale. La réintégration du corps maternelle est à jamais impossible. La première perte inscrit dans l'inconscient une marque indélébile, qui pourra réactiver sa teneur "passionnelle" lors de chaque séparation pulsionnelle significative. C'est en ce sens qu'il faut entendre Mélanie Klein lorsqu'elle déclare que la position dépressive n'est jamais totalement dépassée. Une réactivité douloureuse se manifeste presque inévitablement pour tout individu lors des expériences de perte, jusque dans l'âge le plus avancé. Vivre c'est retrouver et dépasser interminablement la position dépressive.

Il est clair que les individus ne sont pas à égalité devant ce devoir psychique de réactivation et de dépassement. Quelques uns souffrent d'une difficulté particulière à traverser cette première expérience de deuil, ce qui les fragilisera, et leur rendre très difficile l'épreuve des frustrations, privations, séparations et autres pertes réelles, imaginaires ou symboliques ultérieures. A chaque fois la plaie se rouvre, malgré les politiques d'évitement, de clivage, voire de forclusion laboreusement édifiées à titre de défenses contre l'angoisse de la perte. Chez certains l'angoisse de perte se vit sur le mode de la terreur de l'effondrement, ce qui est bien pire. Pour le sujet normal il se caractérisera par une capacité psychique à recevoir et accueillir la douleur (et non pas la refouler ou la nier) mais pour l'intégrer dans son histoire subjective sans y céder. De toute manière il est vain de rêver d'une existence sans frustration. Aussi l'éducation bien pensée doit-elle y préparer de manière souple et intelligente.

Une traversée réussie de la position dépressive devrait nous éviter la pathologie dépressive qui ne serait somme toute qu'une éternisation de la passion de deuil. Du moins si l'on s'en tient à l'interprétaion psychologique, à la manière de Mélanie Klein et de beaucoup de psychanalystes. Mais il n'est pas prouvé que toute dépression soit psychogène. La réserve vaut surtout pour ce qu'on appelle aujourd'hui les "troubles de l'humeur" (jadis on parlait de maladie maniaco-dépressive, ou de mélancolie) pour lesquels on ne peut refuser a priori une causalité biologique. Mais comment savoir ?

Qu'est ce qui est biologique, qu'est ce qui est psychologique? Faut-il maintenir une frontière artificielle entre les deux registres? J'avoue que j'incline de plus en plus vers une conception "groddeckienne" : en decà de toutes nos distinctions savantes c'est vraisemblablement un "ça" inconnu et inconnaissable, ni vraiment biologique, ni vraiment psychique, antérieur et les deux à la fois, qui nous gouverne, et dans la santé et dans la maladie, de la conception à la mort. Faisons ce que nous pouvons pour nous porter bien, mais en sachant que notre Moi n'est que le pôle apparent d'une configuration largement immergée, à jamais impénétrable.

II

Cette page peut paraître un peu austère et décevante. Il faut ajouter qu'il existe un remède souverain contre les tentations dépressives, c'est la création. Pas forcément artistique,  encore que ce soit peut-être la plus efficace. Etre créatif signifie fondamentalement sentir, penser et agir selon sa propre complexion, en déployant autant que faire se peut sa propre puissance naturelle d'affirmation. Cela exige une recentration sur le noyau personnel, une attention à ses vrais besoins et désirs, sans pour autant cultiver quelque paranoïa de défiance et de méfiance. De même il n'est pas question de sombrer dans un narcissisme délétère et imbécile. Libérer l'énergie, en évitant de la retourner contre soi comme on le fait dans la dépression, c'est la chance donnée à la santé. Parfois il faut en passer d'abord par la thérapie pour retrouver les chemins de la créativité. Mais en elle même la thérapie n'est qu'un moyen, seule la création est une fin en soi.

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