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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 août 2009

De "CHAOS" - et de la FAILLE

Que serait une faille, un trou que ne délimite aucun bord? Voilà une question de Moderne qui visiblement n'embarrasse pas Hésiode quand il rédige la Théogonie. Relisons quelques vers :

Or donc, tout d'abord, exista Chaos, puis par après

Terre Large-Poitrine, base sûre à jamais pour tous les êtres...(vers 116 et 117)

De Chaos naquit Erèbe et la Nuit toute noire

De Nuit naquit Feu d'en haut et Lumière du jour...(vers 123 et 124).

Quel est ce mystérieux Chaos d'où procèdent tous les éléments de l'univers? Chaos : ouverture, baîllement, hiatus. Originellement le mot n'évoque pas particulièrement le désordre. D'après ce texte Chaos est totalement indéterminé. On n'en peut rien dire, si ce n'est précisément qu'il est antérieur à tout temps mesurable, à toute histoire. Les choses commencent avec la naissance de la Nuit, du Ciel, du feu, du jour, et de la terre. Toute explication, toute interprétation serait ici incongrue. Il suffit au poète d'énumérer. En donnant le mot juste, il donne définitivement le sens, il "réalise" en quelque sorte la Vérité. Le Logos qui énonce est auto-suffisant, et le poète est toujours vrai. C'est du moins ainsi que les Grecs de la tradition voient les choses. Dans le poème la Parole de Vérité séjourne et brille, immédiatement sensible aux auditeurs.

Le traducteur (Jean-Louis Backès dans Folio) propose Faille pour Chaos. Cela évite le contre-sens sur le désordre. Mais aussi, comment concevoir une Faille qui ne serait pas déchirure d'un tissu préexistant? Nous voilà pris aux rets de la raison raisonnante. C'est le meilleur moyen de rater l'esprit de cette Vérité du poème, plus vraie que toute vérité rationnelle.

Nous n'en sommes pas si loin quand nos astrophysiciens évoquent une nébuleuse "soupe primitive" suppposée antérieure aux premières secousses du temps. L'origine est rigoureusement impensable. Dès lors le mythe conserve à jamais son éclairante obscurité. Notre science est notre mythologie, à ceci près qu'elle n'a aucune vertu poétique. D'où l'actualité paradoxale d'Hésiode.

Mais cette aporie est précieuse pour saisir l'essence du langage. Que je dise Faille, ou Chaos, ou Tao, ou Soupe Primitive, peu importe en somme puisque je ne dis rien, si ce n'est mon impuissance à nommer, me réfugiant dans une pure logomachie? Un signifiant ne se définit que par différence avec un autre. Le langage, pour exister comme tel, suppose originellement deux termes qui se distinguent.  Le poète qui nomme le Chaos ne livre aucun savoir, il le sépare de ce qui suivra, il délimite, il écarte, il isole le domaine de l'originaire, le contient, le retient et le protège comme savoir impossible. "De Chaos il n' y a rien à dire. Toutefois je le nomme, non pour en révéler la nature, qui m'échappe autant qu'à vous, mais pour le situer, et le situant, le conserver dans la mémoire des hommes, inexploré et obscur, trace d'un Avant inconnaissable. Il vous suffira d'en recevoir le nom. Rien de plus pour les mortels".

L'édifice du langage repose sur un indicible. Vouloir le saisir par le langage même relève de la démence. Peut-être la poésie, et le mythe, sont-elles une sorte de délire dont la fonction paradoxale serait de désigner par le verbe, de sauvegarder ce qui, à jamais, est celé dans le pli de l'impossible.

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Commentaires
J
" le vide n’est pas différent des formes, les formes sont le vide, "<br /> <br /> une façon d'approcher cela, selon moi :<br /> ce que nous connaissons des choses, des événements, des personnes etc c'est notre expérience de ces choses, événements, personnes. Expérience agréable ou désagréable, peu importe.<br /> Mais nous ne savons jamais qui ou quoi cette chose, cet événement ou cette personne est. Nous ne pouvons trouver cette chose, cet événement, ou cette personne.<br /> <br /> Tout ce qu'il y a, c'est l'expérience, et cette dernière est impermanente.
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G
Cette admirable citation a le grand mérite de pourfendre les conceptions dualistes et de poser comme évidente la surface pure de la non-distinction originaire. J'y souscris totalement. Même l'opposition entre samasâra et nirvâna y est dépassée, posée comme purement pédagogique et méthodologique. Cela dit il faut beaucoup de patience et de clairvoyance pour atteindre à la vision intuitive de la vacuité, sans retomber dans le nihilisme, avec le quel on la confond trop volontiers. Voir là dessus la pensée de Nagarjuna.
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D
Ces reflexions font échos à 2 paragraphes du Sutra du Coeur ou Hannya Shingyô :<br /> <br /> Shâriputra, les formes ne sont pas différentes du vide, le vide n’est pas différent des formes, les formes sont le vide, le vide est les formes. Il en va de même des sensations, des perceptions, des constructions mentales et des consciences.<br /> <br /> Shâriputra, tous ces éléments ayant l’aspect du vide, ils n'apparaissent ni ne disparaissent, ils ne sont ni souillés ni purs, ils ne croissent ni ne décroissent. C’est ainsi que dans le vide, il n’y a pas de forme ni de sensation, de perception, de construction mentale et de conscience.
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G
Des deux côtés. Tantôt plus de l'indicible (Héraclite) tantôt clairement et délibérément dans la rerésentation : art figuratif, poésie de genre, épopée, tableaux d'époque etc. je préfère évidemment la première figure, qui est entre vertige et image, à l'orée du dicible. GK
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D
Cette nécessité du nom, du signifiant ou de la forme est sans doute le moyen par lequel on humanise la nature : humaniser revient à se territorialiser, "à se situer" comme tu le précises, manière de s'emparer d'une portion de la nature et d'affirmer sa volonté. Le délire commence avec l'intention de la signification, du dire. Ce chaos, ce hasard abolu comme source ou cette faille piège à jamais la vérité dans l'abîme (Démocrite). Que reste-t-il ? Les apparences, le "il y a" et nos illusions. Et de quel côté se trouve le poète ? De l'art qui recouvre le réel dans la représentation ou de l'indicible et du jeu de la parole qui ne dit jamais rien ?
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