ODE POUR ARTEMIS : HERACLITE à EPHESE
Phosphorescente et pure, Toi, née de Delos la lumineuse
Vierge farouche toujours tu repousses les charmes d'Aphrodite
Tu ne peux supporter les séductions captieuses, les pièges
Les lacets de l'Eros, les mâles empressés. De tes flêches
Sans pitié tu perfores le malheureux mortel qui ose
Sur toi lever ses yeux de chair embués de désir
Toi la soeur adorable, accoucheuse jumelle d'Apollon,
Carquois aux mille traits de mort, chasseresse et farouche
Tu préfères de loin secourir les parturientes fièvreuses
Assurer à la pauvre mortelle en couches, à l'âme désolée
Le secours de ton coeur de lumière, à la vie trébuchante.
C'est Toi, divine, que je contemple dans l'aurore, quand l'or
De Phoibos Apollon répand l'allégresse en mon coeur,
Et que, rêveuse et tendre, la lune s'efface dans le jour.
Apollon-Artémis, même lumière, et cruauté, et même
Astre de l'excellence, et Beauté, et sagesse insondable.
Avant de mourir Héraclite, écoeuré des hommes, va déposer son livre unique au temple d'Artémis, à Ephèse. Quelle puissance ici-bas pourrait, mieux que la déesse, conserver, protéger ce manuscrit, le retirer à la malveillance des mortels? C'est Artémis qu'il choisit comme exécutrice testamentaire. Pourquoi Artémis, la farouche, la vierge inexpugnable, l'impitoyable ennemie d'Aphrodite? Il est clair que c'est un choix apollinien. Artémis n'est-elle pas soeur jumelle d'Apollon, son Double féminin, son principe à la fois contraire et identique? "Identité des contraires" écrivait-il dans son livre, révélant à tous le secret du Logos, mais il est vrai dans un style énigmatique, aussi obscur que les célèbres oracles de la Pythie de Delphes. Cohérence absolue de l'intuition et de la pratique. Un sage qui découvre l'Un différant de soi-même ne peut que s'en remettre au dieu archer, qui voit de loin, au dieu oblique, celui "qui ne cache ni ne révèle mais fait signe" - ou à son Double féminin, creusant, redoublant encore le sens de l'énigme dans la contrariété de l'identique.
L'ouvrage d'Héraclite l'Obscur ne pouvait séjourner que plus noblement dans le temple lumineux de la déesse.