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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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31 juillet 2009

OEDIPE, héros de la CONNAISSANCE IMPOSSIBLE

L'effroyable est en moi, tout au fond, qui m'afflige et me tire

Incessamment vers le séjour funeste du dieu mort

Où roule la voix éructée d'une impensable absence

Je me détourne, je fuis, je cours les allées de  la ville

Mais le détour encore, et l'évasion me ramènent, m'enchaînent

La roue tourne toujours, et je tourne, et je tourne avec elle

Sans comprendre jamais l' énigme dont les termes m'obsèdent

Et qui emportera mon âme inapaisée dans les flots du Tartare.

NOTE : ce n'est pas là une traduction d'un texte antique mais une sorte d'élucubration poiétique dûe à ma "sym-pathie" spontanée et irréfléchie pour ce malheureux personnage de légende, vivant en moi, et en bien des consciences, mais certes non à la manière freudienne. Je m'interroge sur sa faute, et sur son châtiment. Et je ne trouve aucune faute du côté du supposé inceste maternel, assez peu intelligible et invraisemblable en vérité. Qui accepterait d'épouser une vieille femme quand on est jeune et vaillant? De toute manière dans Sophocle il ne fait aucun doute que Oedipe n'est responsable de rien, et il ne se serait rien passé de significatif si Oedipe, au lieu de se prendre pour un justicier mandaté par le dieu, et acharné à déloger le coupable s'était contenté de son rôle traditionnel de roi mortel et terrestre. Sa faute est politique et théologique. Il en veut trop, il en fait trop, s'érigeant soudain au rang de Zeus en personne. Il veut tout savoir de ce qui était justement dissimulé, secret, intangible et sacré. Il veut fouiller les corps et les consciences, porter le fer et le feu jusque dans l'intimité des êtres, oubliant toute mesure, toute réserve, emporté par l'hybris de la connaissance illimitée. Il foule aux pieds la loi sacrée qui délimite l'humain du divin. Il commet le sacrilège absolu, se perd dans l'illimité de la non-différence. Iconoclaste et "antitheos" il déboulonne le dieu pour s'identifier au divin, basculant dans la démence du savoir absolu.

Oedipe est un héros moderne, comme Hölderlin l'a bien vu. Au sortir du désastre, les yeux crevés, hagard, harrassé de malheur, il se présente aux portes d'Athènes pour demander l'hopitalité. Lui qui avait perpétré l'injustifiable, cet accouplement monstrueux de l'homme et du dieu, voilà qu'il vit dans sa chair la séparation absolue, l'absence sans recours du dieu, jeté dans l'espace et le temps illimités, avec pour seule perspective une mort sans signification. N'en sommes pas tous là, nous Modernes, survivant du désastre métaphysique?

"Oedipe avait un oeil en trop peut-être" (Hölderlin: "en bleuité adorable"). Cet oeil en trop c'est l'oeil de la connaissance. Les sages grecs ne cessaient de mettre en garde contre l'hybris, la volonté de savoir. "Rien de trop" disaient-ils, ce qui s'entend, certes, pour la conduite, mais plus encore peut-être pour la connaissance. La tragédie attique est cette médiatation persévérante sur le partage. Aux dieux tel lot, tel autre pour les hommes. La vraie sagesse n'est pas d'explorer l'inexplorable, mais de méditer le partage.

Dans son parcours personnel et poiétique Hölderlin refait le chemin d'Oedipe. Lui aussi rencontre le monstrueux. Et comme Oedipe il conclut que le séjour des hommes n'est pas là-bas, mais ici. Lui aussi finira par opter pour une existence sans les dieux : "Que l'absence du dieu nous aide!". Mais en cours de route il se sera brûlé les yeux ( comme Homère, comme Oedipe et Démocrite) payant trop cher le fruit d'un savoir funeste. "Et je puis bien le dire, je crois qu'Apollon m'a frappé". Toute la question est de savoir s'il faut préférer l'ignorance populaire à la connaissance savante, s'il est patent que celle-ci, en plus du danger le plus grand, vous laisse en définitive dans une docte mais douloureuse ignorance. Montaigne déclarera sur le tard que rien ne vaut le nonchaloir des bêtes et des paysans, que toute notre philosophie n'est que poésie sophistiquée et qu'il suffit de s'en remettre à la nature. Mais lui qui dit cela, n' a-t-il pas, à sa manière à lui, songearde et primesautière, fait le voyage initiatique pour en dénoncer l'inanité?

Heureux si nous pouvons accéder à ce "savoir" là sans avoir à nous crever les yeux!

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