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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 juillet 2009

Du SEXE, et de son rapport au DESIR

Le sexe, chez l'humain, constitue l'articulation entre le besoin et le désir. Besoin, si l'on considère les stimulations quasi incessantes des zones érogènes en exigence de décharge. Désir, si l'on considère le mouvement quasi spontané vers l'autre comme objet. Ici le leurre fondamental trouve sa racine et son explication : le sujet, suscité comme désir par ce qu'il croit désir chez l'autre, ne peut que fantasmer un absolu de la satisfaction dont le désir de l'autre serait le garant. D'où la formule célébrissime de Lacan : "Le désir est le désir de l'autre" - l'autre à la fois désiré et désirant. Dans cette opération imaginaire se produit une sorte de tranfert de l'exigence pulsionnelle, inévitable chez l'humain qui cherche en l'autre de quoi combler son manque structurel - du moins si nous partageons cette hypothèse platonicienne et lacanienne du manque constitutif.

Mais je suis de moins en moins convaincu de la justesse de cette thèse. Disons qu'elle me semble exacte si l'on tient la névrose comme condition ordinaire et indépassable de la condition humaine. Ce manque en effet est le fondement de la structure névrotique, et dans les cas plus graves, narcissiques. Qu'est ce que la  névrose, sinon la conviction inconsciente qu'il me manque de quoi être heureux, que je vais chercher hors de moi sous les auspices de l'objet à posséder, quels que soit sa forme, et ses avatars : biens de consommation, sexe, gloire, honneur, argent, pouvoir, savoir. D'où la dépendance à l'Autre, et plus généralement la structure addicitive. Que ce soit le sort ordinaire de l'humain, aucun doute. Que les choses se présentent ainsi, et presque dans tous les cas, aucun doute. Mais rien n'interdit de poser la question : est-ce pour autant une vérité incontournable, une vérité de droit, ou un ratage malheureux de l'existence? Normalité ne fait pas santé. Cette hérésie de la constitution il faut la juger circonstantielle, et s'efforcer de la dépasser.

En toute rigueur rien ne manque jamais, ni le temps, toupours offert dans un présent éternellement recommencé, ni le réel, ni le mouvement interne, ni le monde. Ce qui manque c'est ce que nous imaginons manquer, comme la satisfaction, l'absolu, les prestiges fallacieux du fantasme, la jouissance intégrale. L'insatisfaction s'origine du fantasme. Le manque n'existe que comme fantasmagorie. De vrai, le désir n'est pas le désir de l'Autre mais le désir de rien.

Goethe écrit dans Tasso : "Tout est là et je ne suis rien". -Je ne suis rien rien tant que je crois pouvoir être tout.

Epicure, s'interrogeant sur la sexualité, reconnaît volontiers son caractère naturel (un besoin physiologique) mais s'interroge sur sa nécessité. Plaisir naturel mais non nécessaire, dira-t-il. Il faut entrendre, je pense, qu'il met en garde contre les attachements passionnels, l'addiction amoureuse, la dépendance physiologique et psychologique, l'aliénation et la perte d'autarcie. Lui-même partageait sa couche avec Leontia, une ancienne prostituée convertie aux joies de la pensée. (Pensée du plaisir, rappelons-le à tout hasard). C'est clair : le sage cultive la volupté, non l'amour. Dans ses relations charnelles il laisse libre cours à un désir fort banal, sans grandiloquence, sans fantaisies religieuses ou métaphysiques, sans espérance ni idolâtrie. On caresse un corps, ou plusieurs, on se laisse caresser, on copule, on jouit, on goûte le plaisir d'Aphrodite, sans gène ni attente particulière. NUlle honte, nulle culpabilité, nulle glorification poétique. Purement terrestre, gratuite et sans faute, innocente comme le chant des cigales, la volupté se trouve ici comme ailleurs, dans un bon vin, dans une agréable promenade, dans une discussion serrée, dans la compagnie des amis - plaisir du ventre avant tout, puisque le ventre est à la racine de l'être sensible et mortel. Aucun romantisme, aucune idéologie de salut : naturalité pure et simple.

Chez nous, modernes, tout est si compliqué! Et notre prétendue révolution sexuelle n' a pas changé grand chose. On baise un peu plus, mais l'esprit est toujours malade, chargé de culpabilité, de faux espoirs, d'attentes mirobolantes et d' infaillibles déceptions. Montaigne le dira très fortement : "Nous ne goûtons rien de pur". Or il n'est de vraie violupté que "pure", entendons sans arrière-pensée, sans calcul psychologique, sans obsession de péché ou de performance. "Diva voluptas" s'écrit Lucrèce : volupté aussi bien de la femme vénale, de l'amie bienfaisante ou de l'épouse. Un instant, juste un instant de franche libéralité, de jeux pulsionnels, de caresses et d'abandon. Rien de moins, rien de plus. Mars se laisse glisser en confiance dans les bras de Vénus, et c'est l'éternité dans un seul fragment de temps!

Retour à la question du désir. Désirer peu. "Non plus quam minimum". Ce minimum sensible qui donne le plaisir, et qui, par l'extension physique de la sensibilité et de la pensée, donne plus que la simple décharge. Non pas un sens, une justification, une parousie ou quelque exaltation mystique. Non pas un plus qui nous égalerait à l'absolu. Aucune déification. Mais la grâce et la gratitude. Imaginons Epicure, se sentant mourir, convoquer Leontia pour une ultime étreinte, puis s'allonger dans son bain, discuter une dernière fois avec ses amis, leur recommander le soin de l'enseignement et du Jardin, et tout en savourant son dernier verre de Samos, se laisser glisser doucement dans la mort.

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